La Maladie blanche
Karel Čapek
Traduction du tchèque et préface d’Alain van Crugten
(parue pour la première fois en 2011 aux Éditions de La Différence)
« Je ne suis pas un homme politique, mais en tant que médecin, j’ai le devoir de me battre pour chaque vie humaine, n’est-ce pas ? C’est simplement le devoir de tout médecin d’empêcher la guerre ! »
Un nouveau virus, venu de Chine, frappe mortellement les plus de quarante ans. Jusqu’à ce qu’un modeste médecin mette au point un traitement contre cette terrible « maladie blanche ». Sa seule condition pour dévoiler sa découverte : que toutes les nations s’engagent à ne plus faire la guerre. Mais les puissants sont-ils prêts à abandonner leurs rêves de gloire et de richesse pour rester en vie ?
Critique fervente du totalitarisme, La Maladie blanche, écrite en 1937, confirme une nouvelle fois l’intuition géniale et l’extraordinaire don d’anticipation de Karel Čapek.
Écrivain, journaliste, voyageur, photographe, et même jardinier, Karel Čapek (1890-1938) est une figure littéraire majeure de la première moitié du vingtième siècle. De sa pièce de théâtre RUR, à son récit Voyage vers le Nord, en passant par son précis L’Année du jardinier, Karel Čapek a développé une œuvre aux multiples aspects, toujours teintée d’un humour alerte.
Le Monde • Florence Noiville
Karel Capek ? C’est l’homme qui, dit-on, a inventé le mot « robot ». Cet écrivain tchèque, né en Bohème en 1890 et mort à Prague en 1938, l’aurait fabriqué avec son frère, Josef, à partir du tchèque robota, qui signifie « travail » ou encore « corvée ». En 1920, Capek l’utilise pour la première fois dans une pièce de théâtre de science-fiction intitulée R. U. R. (pour Rossumovi univerzalni roboti, « les robots universels de Rossum »). On y voit des hommes confier à ces machines toutes leurs tâches les plus aliénantes et dangereuses, jusqu’à ce que les androïdes, furieux, se rebellent et décident d’anéantir leurs créateurs.
Science sans conscience, injustice sociale, mise en danger de l’humanité : on retrouve ces hantises de Karel Čapek dans La Maladie blanche, un très beau texte dialogué que rééditent opportunément les Éditions du Sonneur. Dans ces pages écrites en 1937, en pleine menace nazie, l’auteur imagine une situation on ne peut plus effrayante d’actualité, où deux périls se conjuguent. D’une part, une pandémie, la maladie blanche due à un virus chinois contagieux et mortel. D’autre part l’imminence d’une guerre voulue par le Maréchal, dictateur persuadé que l’affrontement meurtrier est une grande et belle nécessité.
C’est à ce moment que surgit le docteur Galen. Ce modeste médecin a mis au point un traitement de la maladie blanche. Mais il ne divulguera le secret de sa composition que si toutes les nations s’engagent, une fois pour toutes, à ne plus jamais se faire la guerre. « Je ne suis pas un homme politique, déclare modestement Galen, mais, en tant que médecin, j’ai le devoir de me battre pour chaque vie humaine, n’est-ce pas ? C’est simplement le devoir de tout médecin d’empêcher la guerre. »
Simplement ? Rien n’est simple sous la plume ironique de Karel Čapek. Entre les délires sanglants du Maréchal, l’obséquiosité de ses aides de camp (« La guerre, ce serait une folie de ne pas la faire quand on a un chef pareil »), les intérêts du baron Krüg, qui fabrique des armes et a promis son neveu à la fille du Maréchal, l’ambition de Sigélius, sorte de Knock xénophobe et sans scrupule, qui tente tout ce qu’il peut pour s’approprier la découverte du « petit généraliste », ou encore les Diafoirus de tout poil s’empressant de fabriquer de faux remèdes pour s’enrichir, ce pauvre Galen passe pour un naïf bien isolé. Serait-il un « malade mental » mû par une « utopie stupide » ? Un gêneur illuminé fantasmant sur la paix dans le monde ? Un démagogue comploteur instrumentalisé par quelque puissance invisible ? Et que peut la beauté d’une idée face à une bonne propagande sur une foule déchaînée ? Finalement, le précieux secret de Galen sera piétiné et perdu. La guerre aura bien lieu, sans doute. Bref, le pire est toujours certain grâce à l’incommensurable débilité des hommes. Seule consolation, peut-être, pour Čapek, la mort le fauche en 1938, il échappe à la catastrophe qu’il n’entrevoyait que trop bien.
Cauchemar comico-tragique, La Maladie blanche a la fausse légèreté d’un Anouilh, le grotesque voulu d’un Ionesco et l’ironie typique des grands auteurs de la Mitteleuropa. Elle a surtout le pouvoir posthume de sidérer son lecteur. Toutes affaires cessantes, ce texte puissant et clairvoyant devrait être mis dans toutes les mains.
Le Monde diplomatique • Xavier Lapeyroux
Pandémie et jardins
Une maladie fort contagieuse importée de Pékin, des morts par millions, des chercheurs en quête d’un remède, une presse instrumentalisée, un pouvoir dépassé, des militaires intransigeants, un humaniste… La« maladie blanche» vient d’entrer en Europe. Un mot est lancé : pandémie. Définition : « Une maladie qui gagne le monde entier comme un raz-de-marée.» Dans la clinique de Sigélius, un premier cas est détecté. Le pronostic est sans appel : la mort, sous quatre mois, pour les plus de 50 ans.Lorsqu’un médecin généraliste, le docteur Galén, lui affirme savoir guérir la maladie, Sigélius entrevoit la possibilité d’un avenir radieux : « La gloire, une fabuleuse clientèle, un prix Nobel et probablement une chaire universitaire.» Mais les projets de Galén sont autres : il ne confiera son traitement que contre la promesse des dirigeants de ne plus faire la guerre. Intérêts privés, devoirs envers l‘humanité, deux visions s’affrontent. Dans la population, certains demeurent sceptiques . « C’est de la blague, cette lèpre », lance un père de famille que les informations assomment. Malédiction pour les uns, aubaine pour les autres : « Tu sais, je le dis comme je le pense : cette lèpre, c’est une bénédiction de Dieu(…). Sans cette maladie blanche, on ne vivrait pas aussi bien aujourd ‘hui», déclare le père. Certains ont évidemment des idées sur la question – la solution, c’est éradiquer cette épidémie par la force et la répression, ou déclencher une guerre afin de la reléguer au second plan.
Le tchèque Karel Čapek ( 1890-1938) a écrit cette pièce en 1937. Il est un maître de l’absurde, de la farce et du grotesque, dont témoignent notamment sa pièce R.U.R. (1920), qui popularise le «robot» , inventé par son frère, et son roman La Guerre des salamandres (! 936), au carrefour de la science-fiction et de la politique-fiction. Alors, deux Čapek sinon rien ! puisque, dans une réédition de 2021, soignée et illustrée (par le frère de Karel, Josef), nous est également proposé L‘Année du jardinier, répertoire des tâches que ce dernier doit accomplir au fil des saisons, ainsi que de ses espoirs, ses angoisses, ses obsessions (2). De digressions philosophiques en fulgurances poétiques, Capek livre un récit tendre, drôle et on ne peut plus actuel sur les enjeux de notre monde, rappelant l’impératif d’humilité que l’homme devrait faire sien : «Il faut donner à la terre plus qu’on ne lui prend.» Dans ce livre inclassable, Čapek nous offre un bouquet de pensées sur les sujets les plus divers. Le bien et le mal : « C’est un des mystères de la nature que les mauvaises herbes ( … ) naissent toujours des meilleures semences de gazon … » L’impuissance de l’homme face au climat : « Avec n’importe quoi au monde, on peut faire quelque chose; on peut tout arranger, tout réformer, mais, contre le temps, on ne peut rien entreprendre. » La propriété privée : « Quiconque a un jardin devient inéluctablement un défenseur de la propriété privée ; et alors, ce n’est pas un rosier qui pousse dans ce jardin, c’est son rosier. »
Au fil de son œuvre foisonnante, Čapek a semé les graines d’une critique sociétale et politique d’une troublante modernité. Nous autres, lecteurs, récoltons aujourd’hui cette moisson prophétique. Une moisson inépuisable : « Le jardin n’est jamais fini . En ce sens, le jardin ressemble au monde et à toutes les entreprises humaines.»
ISBN : 9782373852578
Collection : La Grande Collection
Domaine : République tchèque
Période : XXe siècle
Pages : 144
Parution : 17 mars 2022