L’Os quotidien
Gaston Criel
Préface de Jacques Josse
Mobilisé, Robert Raynaud, le narrateur, est fait prisonnier et envoyé en 1940 dans un camp de travail en Allemagne jusqu’à la Libération, ce temps suspendu. Errant alors des Grands Boulevards à Saint-Germain-des-Prés, dans un Paris tour à tour joyeux et mélancolique, Raynaud s’essaie, pour survivre, à tous les petits boulots – vendeur, assistant d’édition, galeriste, etc. Jusqu’au moment où la paternité vient le conforter dans son nihilisme profond.
Alternant rire et désespoir avec une insolence narquoise, Gaston Criel pousse dans L’Os quotidien un cri vibrant, empli de rage et de sarcasme, qui laisse poindre une tendresse délicate pour les êtres et une ardeur à la jouissance. Et restitue l’humanité dans toutes ses contradictions.
Né en 1913 à Seclin, dans le Nord de la France, Gaston Criel est fait prisonnier en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
À la Libération, il s’installe à Paris et fréquente les milieux littéraires par l’intermédiaire de Jean Paulhan, qui le présente à Sartre (la légende raconte que le pape de l’existentialisme avait fixé à un paquet de Gauloises par mois le loyer qu’il demandait au poète désargenté pour la chambre qu’il lui louait rue Bonaparte). Pendant deux ans, à partir de 1945, il est le secrétaire de Gide.
En 1950, Criel s’embarque pour les États-Unis. Il y vit trois ans, et y rencontre entre autre Louis Armstrong et Dizzy Gillespie. À son retour, il fit la connaissance de Jean Cocteau, et l’assiste sur le tournage de La Belle et la Bête.
En 1954, il s’installe à Tunis pour deux ans, où il travaille pour Radio Tunis. Il rejoint la maison familiale de Seclin en 1964 et travaille alors comme publiciste pour son beau-frère, fabricant de caravanes. Criel se remet à l’écriture en 1978, pour publier une trilogie (Sexaga, Phantasma, Circus). Il publie dans des revues de poésie, le plus souvent confidentielles. Ses poèmes sont traduits en arabe, roumain, portugais. Il s’intéresse à partir de cette époque à l’art postal et participe à plusieurs réseaux mondiaux d’échanges de cartes et de collages originaux.
La dernière œuvre parue de son vivant est L’Os quotidien (1988). Il meurt en 1990 à Lille.
Éric Dussert, L’Alamblog
Dans quelques jours paraîtra L’Os quotidien, l’un des grands livres de cet auteur qui a tout pour devenir « culte » aux côtés de Martinet ou de Bove : Gaston Criel.
L’Os quotidien est sa dernière prose publiée en 1987 par Samuel Tastet alors que Criel atteint le terme de son existence. Il revient dans cet écrit jeté comme un expresso serré pour lendemain de cuite sur ses jeunes années passée en partie dans un stalag puis dans le Saint-Germain-des-Près décontracté de l’après-Libération.
Tandis que Sartre, Romains et Duhamel brossent des sagas ou des romans pleins de pages, un homme plus tout à fait jeune (Criel est né en 1913 – son alter ego romanesque Robert lui ressemble comme deux gouttes d’eau) mène son existence comme on se jette à l’eau. Le poète qu’il était avant-guerre (il a publié dès 1937 sa poésie) est parvenu à traverser l’épreuve du travail forcé dans les fermes allemandes sans trop de dommages. Il a même lancé un canard à Magdeburg, l‘XI A. Cahiers littéraires du Stalag, un mensuel de camp de prisonnier dont il est le « directeur ». Un numéro qui pourrait être unique paraît le 29 février 1944. Il n’a jamais combattu. Il a été raflé au cours de la Drôle de guerre. Après un très long trajet Aller vers les profondeurs agricoles de l’Allemagne, il y a un long retour en train et puis… Saint-Germain-des-Près, le havre où les pépés roucoulent aux bras des GIs.
Dans L’Os quotidien, l’encre arrive vite à la cible, et pardon si ça tache.
Avec le whisky des Ricains tout va. Lorsque les Ricains s’éclipsent pour aller combattre le Teuton en Forêt noire, ça devient une autre histoire. Les petits commerçants font grise mine : le dollar s’est barré. Les gosses girondes espèrent bien un peu le retour du chéri bientôt papa, mais bernique… Tout ce petit monde doit réinventer son quotidien et au milieu de ces Français déboussolés, le poète qui doit gagner son pain. Et puis il lui faut lui nourrir l’enfant qu’il a fait à Jacqueline. Si l’on en juge par la coulée de dégoût paternel, il est clair que la reproduction n’était pas le mobile des faits. Robert est cynique comme on l’est rarement, mais ses sorties dégoûtées sont d’une terrible drôlerie que beaucoup de jeunes mamans ne pourraient pas lire sans hoqueter de rage. Sanies, odeurs sûres de la maternité, pissats du nouveau-né, Criel donne sans mesure dans le criant de vérité. — Il faut noter qu’il publiait, lui, Gaston Criel, Hygiène sur un véritable papier hygiénique aux éditions Le presse à bras en 1948…
Mais baste, il faut nourrir la famille. Les conditions d’existence n’étaient pas si reluisantes. Homme à tout faire pour des maisons d’édition technique ou, à son corps défendant, semi-escroquières, Robert doit trouver l’os à ronger. Il chôme, se forme à la comptabilité, et puis… Et puis, on ne va pas tout vous raconter d’autant que l’anecdote n’est pas ce qui prime. Ce sont les sentiments muris, cuits et recuits d’un homme d’expérience (Criel a été serveur de bar de nuit), qui confirment que latence et récurrence forment bien en littérature la trame des œuvres solides comme de la toile de marine.
Le livre ne ressemble d’ailleurs qu’à Criel. L’ambiance des camps – ni Guérin, ni Hyvernaud -, la vie des bars – ni Yonnet, ni Giraud -, le soulagement du sexe et la déception des attachements — ni Calaferte, ni Deux —, du Criel tout craché. L’énergie qui jaillit des lignes de L’Os et le coupant de ses esquilles sont assez troublants pour empêcher de dire quand le livre a été composé. Peut-être dans les années 1980, mais à partir de notes anciennes qui apporteraient cette sensation d’instantanéité et la vibration intense de scènes saisies au vol. En tout cas, les lecteurs de Phantasma ou de Sexaga reconnaîtront son petit air, son tempo, et cette figure de mâle singulière, gorgée d’une angoisse qui se pare d’insolence ou de mutisme pour faire face. Avec l’ironie mêlée de désolation des gars à qui on ne la fait plus. Marque unique d’un être déchiré qui mesure les difficultés et l’irresponsabilité des êtres.
Un grand bouquin, et une excellente porte d’entrée au bar Gaston Criel.
ISBN : 9782373850642
ISBN ebook : 9782373850727
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature française
Période : XXe siècle
Pages : 170
Parution : 28 septembre 2017