Vagabonds de la vie, autobiographie d’un hobo
Jim Tully
Traduction de l’anglais (États-Unis) et préface de Thierry Beauchamp • Ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre
Publié en 1924 aux États-Unis, Vagabonds de la vie compte parmi les classiques de la littérature consacrée aux hobos, ces saisonniers américains qui voyageaient clandestinement sur les trains de marchandises.
Jim Tully se frotta pendant plus de six ans aux trimardeurs les plus divers – et parfois les plus infréquentables. Il voyagea dans des trains postaux et des convois de marchandises, bivouaqua dans les « jungles » des vagabonds, assimila les us et coutumes des hobos, vécut de petits boulots et de mendicité, eut affaire aux forces de police, et vit souvent passer la mort de près.
Vagabonds de la vie rend compte avec précision des mœurs, de l’éthique, de l’argot et, par-dessus tout, de la philosophie de ces hommes de la route. Avec ce récit, Tully s’inscrit dans les pas de Mark Twain et Jack London, représentants de la tradition littéraire vagabonde américaine.
Né en 1886 dans l’Ohio, Jim Tully fut placé dans un orphelinat très jeune. Il y passa plusieurs années avant de devenir garçon de ferme et chaînier.
En 1901, il entama sa vie de « gamin du rail » et arpenta le pays d’est en ouest et du nord au sud, avant de se poser dans l’Ohio en 1907, où il se mit à écrire. En 1908, il décida de se lancer dans une carrière de boxeur professionnel, histoire de rentabiliser l’enseignement pratique reçu sur la route. Son premier livre, Emmett Lawler, fut publié en 1922. Ce galop d’essai lui ouvrit les portes des studios d’Hollywood : la Samuel Goldwyn Producing Corporation le recruta comme lecteur de scénarii. En 1924, Charlie Chaplin l’engagea comme chargé de relations publiques et conseiller spécial pendant la production et le tournage de La Ruée vers l’or. Dès lors, Jim Tully se partagea entre la littérature et ses activités journalistiques pour American Mercury, Esquire, Liberty, Photoplay, Vanity Fair et de nombreux autres magazines.
Entre 1924 et 1930, les succès littéraires de Jim Tully s’enchaînèrent. Dans ces ouvrages, il évoque des univers très différents : ceux d’Hollywood, du cirque, de l’orphelinat et de la prison. Par le détail concret et le mot juste, il était devenu un maître de l’esquisse réaliste et l’un des précurseurs d’un style auquel le roman noir offrirait bientôt ses lettres de noblesse : le hard-boiled.
Épuisé par plusieurs attaques, il s’éteignit le 22 juin 1947 à Los Angeles. Il n’avait pas encore soixante et un ans.
Laurent Rigoulet, Télérama TTT
Fugueur à 14 ans, il vivra sur la route pendant six ans. Son chef-d’œuvre, enfin édité en France, a ouvert la route à Kerouac et à la beat generation.
Comment a-t-on pu passer si longtemps à côté de Jim Tully (1886-1947), étoile pas si filante que ça de la littérature américaine et grand maître des écrivains vagabonds ? Comment a-ton pu cavaler aussi allègrement sur les voies ferrées, les routes étoilées de Jack London, Woody Guthrie ou Jack Kerouac, rejoindre les villes d’ombres du roman noir sans savoir que Jim Tully, de Saint Mary’s, dans l’Ohio, détenait les formules magiques rapprochant ces deux mondes ? En Amérique, où son culte est ardemment entretenu, ses admirateurs décrètent que Tully est un pionnier parmi les pionniers. L’inventeur de la fiction hard boiled («dure à cuire»), dont les rejetons furent Dashiell Hammett ou Jim Thompson. Il en a essuyé les plâtres en se frottant au monde duraille des «clochards célestes» et des bandits de grands chemins. Il est devenu roi de la littérature« hobo », forme noble des récits d’errance et de dèche sous les grands ciels américains, souvent magnifiques et très souvent cruels. Son Vagabonds de la vie, qui nous parvient aujourd’hui dans une (très) élégante édition, est un chef-d’œuvre du genre, à ranger auprès des Vagabonds de la faim, de Tom Kromer.
Jim Tully a écrit le livre en 1924, alors qu’il s’était déjà ouvert les portes de Hollywood, où il était devenu l’ami, le bras droit et l’attaché de presse de Charlie Chaplin. Une figure du milieu également, un journaliste qui se payait les stars avec une verve méchante dans ses portraits et n’hésitait pas à leur foutre son poing dans la gueule. Noceur, buveur, Tully était l’un des romanciers les plus célèbres d’Amérique avant la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, on l’oublia purement et simplement. Vagabonds de la vie fut adapté au cinéma (avec Louise Brooks et Wallace Beery) par William Wellmann, un autre boucanier de Hollywood, et triompha aussi sur les planches de Broadway avec jim Cagney. Cet engouement n’a rien d’étonnant. De la première à la dernière page, le livre est porté par un courant prodigieux. L’écrivain raconte comment il a lui-même «brûlé le dur» à 14 ans, sautant d’un train de marchandises à l’autre, pour fuir un père sévère qui l’avait confié à un fermier fou (sa mère est morte quand il avait 6 ans) – « Quelle importance si je devais soulever de lourdes caisses dans chaque gare. Là-bas, dans la prochaine vallée, l’attendaient la vie, les rêves, les espoirs… la déprimante monotonie d’une petite ville de l’Ohio y serait inconnue.»
Le voyage dure près de six ans. Jim Tully découvre la communauté des hobos, qui a parfois tout d’une famille, des hommes fuguant comme lui, trimant aux quatre vents pour ne pas se laisser piéger par l’absurdité d’une vie laborieuse. Au fil des voies, au détour des « jungles », les campements que ces bohémiens installent près des gares et des dépôts, il rencontre des personnages fabuleux. Edna, la plus jolie fille de Rabbit Town, qui vend son corps pour 1 dollar et se vante d’avoir gagné 48 dollars en une seule nuit. Oklahoma Red, « un yegg, un voleur, perceur de coffres-forts, l’aristocrate du chemin de fer ». En chemin, Jim Tully invente surtout une langue en mouvement permanent, rude, violente, légère, des phrases courtes et poétiques qui n’ont pas pris la moindre ride, de vives images où l’Amérique s’imprime en passant.
Macha Sery, Le Monde
Deux livres, l’un des années 1920, l’autre des années 1980, attestent du quotidien de ces Américains qui sillonnaient clandestinement le pays en trains de marchandise. En voiture !
Placé à l’orphelinat dès son plus jeune âge puis comme garçon de ferme, Jim Tully (1886-1947) a 14 ans lorsqu’il quitte sa bourgade de l’Ohio, en 1901, pour voir du pays et courir l’aventure le long des lignes de chemin de fer. Le jeune rouquin découvre bientôt une tribu, celle des hobos. Ce terme, qui pourrait désigner une peuplade amazonienne, englobe en réalité ceux qui, aux États-Unis, voyageaient clandestinement dans les trains de marchandise. Plus qu’un mode de transport, un mode de vie, tantôt choisi, tantôt subi.
La crise économique de 1893 (et la Grande Dépression des années 1930 après elle) a en effet jeté des millions d’Américains sur les routes en quête d’un travail. Le premier à poser les bases de ce topos nomade fait d’expédients et d’expériences est Jack London, avec son récit autobiographique Les Vagabonds du rail (1907). Ancêtre de celle de la route chère à la Beat Generation, la mythologie a ensuite été déclinée aussi bien en littérature qu’au cinéma, de Je suis un vagabond, de Lewis Milestone (1933) à Boxcar Bertha, de Martin Scorsese (1972), des Voyages de Sullivan, de Preston Sturges (1941), à L’Empereur du Nord, de Robert Aldrich (1973) …
Publié en 1924. enfin traduit en France, Vagabonds de la vie, de Jim Tully compte parmi les classiques du genre. Durant les six ans qu’il passa à arpenter les États-Unis d’est en ouest et du nord au sud, ce fils d’immigré irlandais prit l’habitude de voler des livres dans les bibliothèques. Reconnu comme un pionnier de la littérature « hardboiled », il conte ici, à l’œil et à l’os, ses amitiés de hasard et ses campements de fortune, la violence des uns et l’hospitalité des autres.
jusqu’à sa majorité, il vécut de larcins, de mendicité et de petits boulots : bourrages d’urnes les jours d’élection à Chicago, assistant d’une danseuse obèse… Il trouva gîte et couvert dans des bordels et mit en pratique, grâce à l’enseignement de ses aînés, mille et une ruses pour déjouer les traques policières. Car le vagabondage était un délit passible d’emprisonnement. Au terme de ses années de galère, Tully travaillera à l’usine. Il s’improvisera ensuite boxeur professionnel, deviendra conseiller de Charlie Chaplin (auquel est dédié Vagabonds de la vie) sur le tournage de La Ruée vers l’or, ainsi qu’un éminent collaborateur d’Esquire et de Vanity Fair.
Huit décennies plus tard, Ted Conover* a aussi « brûlé le dur ». En 1984, ce brillant étudiant en anthropologie a pris la route avec un bidon d’eau et un sac des surplus de l’armée. Quatre mois à grimper dans des wagons de fret et à partager l’errance de marginaux. Pour échapper, dit-il dans Au fil du rail, aux limites de sa classe sociale, sortir de sa zone de confort et répondre, en connaissance de cause, à quelques questions au sujet des hobos : « Leur monde était-il, comme le suggérait un sociologue, “un monde d’étrangers qui sont amis ?” Existait-il une fraternité du rail ? Au début, l’idée que je me faisais des hobos m’avait donné la nostalgie de la liberté – liberté vis-à-vis des patrons, des différentes formes de routine et des attentes des autres, liberté d’aller où je voulais quand je voulais. Chez eux, j’avais bel et bien retrouvé toutes ces choses. ( … ) L’individu et son instinct de survie étaient ce qui comptait vraiment dans leur monde. »
La liberté, toutefois, se paye au prix fort. Jim Tully et Ted Conover dévoilent combien la voie ferrée est un travelling semé d’embûches. « En réalité, le vagabond est tout simplement un parasite rejeté par la société », conclut le premier dans Vagabonds de la vie. Tout aussi triste est le constat d’Au fil du rail : «Vu de près, la liberté du hobo ressemblait plus à une forme de pauvreté : tenus à l’écart du rêve américain, les hobos n’avaient pas de mobilité sociale, pas de sécurité, personne sur qui compter, personne à aimer. Ils étaient des étrangers partout où ils allaient. »
Aujourd’hui, les wagons de marchandise ont été remplacés par des conteneurs transbordés des bateaux directement sur les rails. Les hobos ont quasiment disparu et, avec eux, une sous-culture dérivée de la conquête de l’Ouest.
* Au fil du rail, l’Amérique des hobos (Rolling Nowhere),
de Ted Conover, Éditions du Sous-sol
ISBN : 9782373850284
ISBN ebook : 9782373850420
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, États-unis
Période : XXe siècle
Pages : 288
Parution : 26 mai 2016