Librairie Charybde
«Un souffle sauvage», court récit autobiographique paru en mai 2017 dans la très belle collection «Ce que la vie signifie pour moi» des éditions du Sonneur, nommée d’après le texte de Jack London de 1906, s’ouvre sur l’image d’un chemin forestier, où le sol recouvert de strates d’aiguille de pin, de morceaux d’écorce, de branchages, de pignes en décomposition, et qui laisse par endroits voir la terre meuble ou le sable, fait écho aux strates profondes de la mémoire.
«Il n’y a que l’eau et les arbres, et partout autour de soi, cette immense pinède qui virevolte le long des collines dunaires, abritant de minuscules étangs, des chênaies, des aulnaies pour qui sait se perdre et accepter l’embuscade de vénérables dont le tronc s’est raviné, torsadé sous le feu des âges.»
La forêt des Landes est au cœur des livres de Jérôme Lafargue, milieu sauvage et surprenant, habité de mythes et de souvenirs, en particulier depuis son deuxième roman «Dans les ombres sylvestres».
Le fuchsia des bruyères cendrées, les croassements sporadiques des corneilles, la couche auburn des aiguilles de pin, saupoudrée de mousse et de lichen, l’étendue bleu gris de l’océan que l’on aperçoit par endroits, le portrait de cette nature sauvage et flamboyante dit la renaissance du printemps et la résurgence du passé. Jérôme Lafargue évoque l’histoire et les légendes des temps éloignés attachées à cette minuscule partie des Landes, «écheveau de mamelons pris entre l’océan et deux grands lacs» et dévide l’écheveau de ses souvenirs enracinés-là, l’histoire d’un jeune homme aux prises avec la dépression de son père et avec l’apprentissage précoce de la solitude.
«Le sentiment de notre intense solitude dans ce monde m’accompagne depuis ce jour où je suis devenu le père de mon père, bien avant l’âge requis. Ce jour où je l’ai tancé comme un père l’aurait fait avec son fils. Ce jour où il s’est abandonné un peu, se livrant à la fragilité d’un adolescent étourdi. Ce jour où je suis entré dans l’arène que s’ingéniait à créer cette famille rude, friande de batailles stériles entre mâles arrogants, où la force dictait une loi dépassée et destructrice.»
À partir de cette histoire personnelle, «terrible et incroyable à vivre pour un gosse et son père», de ce lieu et d’une solitude précoce à la racine de sa liberté et de son œuvre littéraire, Jérôme Lafargue condense des pages émouvantes sur le pouvoir de l’imagination et de l’écriture, «une sublime maladie dont on ne peut se débarrasser», et qui donne un sens à toute une vie, à ses émerveillements et à ses désastres.
«Je crois que cette volonté irrépressible de raconter des histoires est née dans cette forêt puis le long de l’océan, au milieu d’un magnifique nulle part. L’esprit de l’immensité et du dénuement absolu, c’est ici que je l’ai ressenti et continue de le ressentir. Mon Ouest sauvage, sauvage à tous les égards, il est là.»
«Les plus sensés d’entre nous continuent de voir le monde avec leurs yeux d’enfant.»