Caroline Constant, L’Humanité
François Morel : « J’écris sur ce plaisir de crier des mots grossiers à l’écho »
Avant de fouler la scène de l’Olympia, l’humoriste et acteur vient de sortir un charmant roman sur les premiers émois amoureux d’un adolescent, ce moment de la vie où se joue la contradiction des sentiments. Entretien.
François Morel, c’est le plaisir des mots. De sa chronique sur France Inter, le vendredi matin, à ses spectacles ou ses si délicates chansons, il n’en finit pas d’écrire des histoires qui parlent au coeur de chaque humaniste. Avec son petit roman, il explore ce coup-ci l’adolescence. Et se prépare, le 4 mai, à jouer sur la scène de l’Olympia, pour laquelle il promet « des amis, des surprises et une première partie ».
Votre personnage principal, « les hommes », est un adolescent confronté à l’éveil de sa sexualité. Comment vous estvenue cette envie d’écrire sur cette période de la vie ?
François Morel J’ai écrit un bouquin, les Habits du dimanche, où je traite de l’enfance, entre souvenirs imaginaires et réels. J’aime ce texte, que j’ai joué plus de trois cents fois, au début des années 2000, avec Antoine Sahler. J’ai voulu écrire la suite sur l’adolescence. Parce que c’est un moment de la vie où plein de sentiments se jouent, dans notre rapport aux autres et, particulièrement chez les garçons, dans leur rapport aux filles. Et puis, j’aime cette collection, « Ce que la vie a fait pour moi », dont le titre est tiré d’un texte super-beau de Jack London. La collection est jolie, et on peut mettre son livre dans la poche pour le lire dans le métro.
Qu’est-ce que ce personnage des « hommes » tient de vous ?
François Morel Une timidité que j’avais, que j’ai encore, même si ça s’est un peu arrangé avec l’âge. Une façon de ne pas être sûr de soi, une échappatoire vers l’humour assez régulièrement…
On voit votre personnage déifier littéralement Isabelle Samain. Pour finir par céder à une pulsion pas très élégante, avec une autre fille, en Angleterre… soit toute l’ambivalence de cette période de la vie ?
François Morel Au début, son amour pour Isabelle Samain est tellement grand qu’on se dit qu’il est surtout amoureux de l’amour. Finalement, Isabelle Samain représente peut-être une image de la femme. Une image qu’il magnifie avec l’angoisse chevillée au corps d’être parmi ceux qui ne réussissent pas à avoir des rapports sexuels. C’est une angoisse forte, quand on est adolescent. Il y a un moment un peu trouble en Angleterre où ça le travaille tellement qu’il pourrait devenir un salaud. L’adolescence, c’est le moment où on peut basculer d’un côté ou de l’autre. À la fin, il entame une relation magnifique avec Isabelle Samain, avec qui il a des discussions presque philosophiques comme on peut en avoir à 15 ans, sur la vie, l’amour… Il engage une relation affectueuse, ça le trouble. Et il va devenir un homme.
Devant la classe, Isabelle Samain lit le Dormeur du val d’Arthur Rimbaud. Et votre personnage se demande si les mots ne seraient pas le moyen d’approcher la jeune fille. Le rapport à l’écriture, c’est une façon d’être aux autres ?
François Morel Il veut même la séduire avec les mots ! J’étais bon en récitation et en rédaction, je n’ai pas tellement changé. À 58 ans, je suis toujours le même. Je suis toujours aussi mauvais en sport et en bricolage.
Votre personnage égratigne au passage ses petits camarades, ses parents forcément liberticides…
François Morel Il est révolté. Mais quand il part trop longtemps de chez ses parents, il a envie de revenir. Parce qu’il trouve que les draps blancs, ce n’est quand même pas mal, surtout après un séjour sous une tente trempée…
Chroniques, chansons, roman… comment gérez-vous ces différences de temporalité dans l’écriture ?
François Morel C’est une gymnastique, l’écriture : avec l’âge, je me rends compte qu’on écrit surtout parce qu’on y est obligé. Jusque-là, l’écriture venait après la comédie, le jeu, la scène. Maintenant, j’écris tous les jours. On m’a demandé des chroniques et je m’exécute bien volontiers. Mais ce n’est peut-être pas sur l’actualité la plus brûlante que je me sens le plus à l’aise. Quand j’écris des textes politiques, en général, je les envoie à un copain pour être bien sûr que je ne dis pas trop de bêtises. Alors que dans ce roman, j’écris sur ce plaisir, quand on est petit, de crier des mots grossiers devant une falaise, que l’écho répète. Au bout d’un moment, comme on s’ennuie un peu, on espère que l’écho va dire autre chose. C’est une impression qu’on a souvent à 6 ans, et moins à 58. Mais retrouver ce plaisir, cette distance, ça permet d’écrire sur des sentiments extrêmement précis.
Vous allez écrire dans Siné Mensuel désormais ?
François Morel J’ai rencontré Catherine Sinet dans un TER qui nous menait vers Caen. Elle m’a demandé d’écrire des petits papiers sur des « coups de boule », comme elle dit, ça m’amuse. L’autre jour, elle m’a appelé en me disant : « Si tu veux être dans le prochain numéro, il faut que tu me rendes ta copie dans dix jours. » J’ai lu le journal, et je lui ai envoyé mon texte trois heures après. Ça fait garçon sérieux.