Tout seul
Nicos Panayotopoulos
traduit du grec par Gilles Decorvet
Ouvrage traduit avec le concours du Centre national du livre
Dans une Grèce déchirée entre traditions et modernité, le romancier Nicos Panayotopoulos interroge les rapports distants et ombrageux qu’il a eus avec son père. Il cherche surtout à préparer ses futures relations avec son fils et aborde la question, existentielle, de la transmission. Que reçoit-on de ses parents ? Que lègue-t-on à ses enfants ?
Nicos Panayotopoulos empoigne le récit, ose pour la première fois dire « je » et met son histoire familiale à nu. Avec son phrasé tout en délicatesse et puissance, l’écrivain nous offre en partage une histoire universelle.
Né en 1963 à Athènes, Nicos Panayotopoulos, ex-ingénieur, ex-journaliste, traducteur en grec de Philip Roth et de Jean Echenoz, est écrivain et scénariste. En 1996, il a été primé pour le scénario du film Absents de Nikos Grammatikos. En 1997, son premier recueil de nouvelles La Culpabilité de la matière a remporté le prix Maria Ralli.
Deux de ses romans ont été publiés en français aux Éditions Gallimard : Le Gène du doute, 2004, traduit du grec par Gilles Decorvet, également traduit en Allemagne, Italie, Slovénie, Serbie, Chine ; Saint homme, 2006, traduit lui aussi par Gilles Decorvet.
Son dernier roman publié en Grèce (Les Enfants de Cain, non traduit) a reçu le prix du Roman de l’Académie d’Athènes.
Alain Nicolas • L’Humanité
« Tu vas me haïr, tu verras », une « lettre au père » qui est aussi un autoportrait de la famille grecque.
« Il aura toujours tort, quoi qu’il arrive, dans l’excès comme dans le manque. » C’est du père qu’il s’agit. Du père de l’auteur, mais tout aussi bien de l’auteur en tant que père. Sur la difficulté à être père, à se débarrasser de son père, bien des pages ont été écrites. August Strindberg en parle dans son récit autobiographique Seul. Panayotopoulos s’en souvient, qui intitule Tout seul sa Prophétie autobiographique. Les mots semblent contradictoires. Une autobiographie peut-elle prévoir l’avenir ? Oui, si l’on s’en tient aux leçons du passé, à ce qu’a appris l’auteur de ses propres rapports au père. « Tu vas me haïr, tu verras », murmure-t-il à l’oreille de son fils, pendant qu’ils « jouent » à la bagarre. Stade suprême de la sagesse ou constat désespéré ? Pour le savoir, il faut lire la « lettre au père » que Nicos Panayotopoulos nous laisse lire par-dessus son épaule.
Écart culturel entre les générations
Pour venir de son village d’Arcadie jusqu’à Athènes, il a fallu à Alekos Panayotopoulos deux jours. Le trajet prend aujourd’hui deux heures. Si l’auteur insiste sur ces durées, c’est pour mieux faire comprendre à quel point le temps et l’espace séparaient les générations, qu’ils étaient une composante de cet écart que l’on dit culturel entre les adolescents de la fin de la guerre et les hommes mûrs du temps de la crise. Le père, fils d’une famille de paysans, doté de neuf frères et sœurs, a fait comme tout le monde. Il est parti. Contrairement aux autres qui ont fini leur voyage aux États-Unis, lui s’est arrêté à Athènes. La légende familiale veut que les beaux yeux d’une jeune fille – la mère de l’auteur – aient stoppé net son élan transatlantique. Une belle histoire qui, on le verra, sera encore plus belle quand elle sera devenue plus vraie.
On ne dévoilera pas les informations soigneusement tues par le père sur les causes de la longueur de ses fiançailles. Le livre, qui prend parfois les formes d’une enquête sur la vie de ce père que l’auteur a si mal connu, est un bel exemple de l’écriture de soi, telle que la propose la collection où il prend place. Mais il vaut aussi pour ce qu’il nous dit de la Grèce, de ce que représente la famille dans ce pays auquel nous attachent tant de liens et qui nous reste pourtant si lointain.
Emmanuel Desestré, Le Ventre et l’Oreille
Les raisons d’une chronique
La façon avec laquelle ce livre est arrivé jusqu’à moi ne justifie pas à elle seule une recension dans cette revue. Le lien avec la musique et la cuisine, même lointain, n’est pas évident. J’aurais bien pu en tisser un, mais son artificialité et sa minceur auraient étiolé ma volonté de bien faire. Avec mon ami Yiannis Stefanakos, qui a pu lire Tout seul en français avant de le découvrir en grec, nous avons décidé de nous livrer à une expérience sensorielle : proposer un accompagnement sonore pour ce récit autobiographique.
Chair et pensée
Tout seul est une introspection. C’est aussi l’introspection d’un auteur déjà rompu aux démarches réflexives, introspection d’introspection dira-t-on peut-être. Comme tout récit autobiographique, c’est une mise à nu qui tente malgré elle de rendre universels les thèmes abordés : la transmission, la médiation, les liens de différentes natures, le temps, les peurs. Ici, Nicos Panayotopoulos est conscient de la dimension « généralisante » du « je » singulier. Il intègre parfois le lecteur dans son écriture et le prend à partie. Le sous-titre ne l’annonce-t-il pas ? Saurait-on n’être prophète que pour soi ? Dans Tout seul, il explore de manière fine la médiation entre son père et lui-même puis avec son fils. Le bois que l’on caresse, la table qui sépare et qui met en relation, la musique qui agace, le geste qui énerve. Peu importe, le lien est tissé, fût-il conflictuel. Les voix s’entremêlent, il a fallu cet élément facilitateur. L’auteur ose aussi mettre à l’épreuve le lien biologique et la transmission culturelle : qu’est-ce que ressembler ? Il tente pudiquement de concilier la conscience et ce que l’éducation a imprimé en nous à notre insu. Il tente et nous offre aussi la leçon d’humilité qui va avec. Il tente tout en sachant le poids. Dans une société grecque en contraste, aussi délicate que brutale, Nicos Panayotopoulos détricote l’emprise des traditions, de la bureaucratie et le carcan des représentations. Il conte les regrets et les désirs mêlés. Il conte les secrets et l’histoire familiale avec une grande sobriété et une langue épurée. Rendons ici hommage à Gilles Decorvet qui a su ne pas enjoliver pour son plaisir un langage tendu et incisif.
ISBN : 9782373850826
ISBN ebook : 9782373850963
Collection : Ce que la vie signifie pour moi
Domaine : Grèce
Période : XXIe siècle
Pages : 112
Parution : 13 septembre 2018