Aliette Armel, L’Obs
L’urgence de ce matin c’est, en fait, de lire Dominique Sigaud, le court texte Tendres rumeurs publié par Martine Laval dans sa collection aux Éditions du Sonneur, au titre en forme d’interrogation existentielle : « Ce que la vie signifie pour moi ».
« J’étais retournée au dictionnaire, écrit Dominique Sigaud qui s’interroge sur ce que son éditrice lui demande. Reprendre les mots un à un, m’assurer de les avoir compris. « Signifier » : « être le signe de », « avoir pour sens ». C’était un peu plus facile. De quoi la vie est-elle pour moi le signe ? Quel sens a-t-elle pour moi ? La vie est pour moi le signe que je suis en vie, que j’ai été mise au monde jusqu’à n’y vivre plus ; avoir été faite vivante parmi d’autres, au même titre que ressac sur les rochers, pluies chaudes, soleil écrasant. »
Dans l’existence de l’auteur et dans le livre écrit à un « je » profondément authentique surgit alors une « coïncidence » dramatique et confondante : le lendemain du jour où elle a écrit cette affirmation de vie, elle reçoit un tonitruant signe de la mort. L’annonce qu’elle est atteinte d’un cancer.
Le livre revient alors sur certaines circonstances de sa vie : sa naissance, les traumatismes de l’enfance qui la conduisent peu à peu à « divorcer de soi », à renoncer mais aussi à résister, les choix de l’âge adulte qui la mènent sur des lieux en guerre aux quatre coins du globe. Elle s’attache à distinguer l’essentiel, à le décrire en phrases vibrantes, souvent réduites à l’action du verbe ou à la justesse du substantif : « Je découvre que les mots dire et dignité ont la même racine. Je n’en suis pas surprise » écrit Dominique Sigaud et ce manque d’étonnement ne nous surprend pas non plus, nous qui la lisons. Son langage refuse tout corruption. Il se retire de toute séduction pour mettre sa puissance au service des multiples sens du mot éclat : « lumière puissante, rire, cri, ou pénétré dans la chair, le morceau de métal, d’obus, de balle. Éclat de voix, de rire, d’obus ou lumineux. La vie comme éclat mais lequel ? Avoir à choisir. Se défaire de ce qui, logé en soi, conduit à sa propre défaite. C’est le retournement, la vie comme retournement. Le cancer étonnamment peu montrer ça. Un jour, procéder au retournement. Un tour complet à l’intérieur de soi. Passer à autre chose. »
Passer à autre chose en voyant la maladie non comme un combat mais comme une sinuosité, un détour : « épouser ce creux que la maladie engendre, tendre l’oreille au son qu’elle produit »… se recommande Dominique Sigaud.
Passer à autre chose en dialoguant avec son éditrice et amie à travers un texte au plus proche de ce que la question exige : qu’est-ce que « la vie signifie pour moi » au moment où elle menace de se dérober…
Je crois à l’efficacité de la lecture et de l’écriture pour accompagner mais également transformer le chemin de la vie. Le livre de Dominique Sigaud en est une illustration flamboyante et son épilogue ne doit rien au merveilleux mais tout à l’authenticité d’un parcours libre de tout pathos, de toute plainte, de tout mépris à l’égard de soi tout autant que des autres, et qui, à chaque détour de page, interroge la langue pour transmuer le réel tout en s’y ancrant en profondeur.
Mais pour que cette efficacité soit totale, il faut que le lien entre écriture et lecture ne soit pas rompu : lecture de l’éditrice, des libraires, des critiques, du « public ».
C’est ce lien que je tisse ici pour un livre qui m’a touchée et qui s’est imposé dans ma journée par un fil de circonstances comme je les aime.
Suivez ce fil, n’hésitez pas car, n’est-ce pas, « Lire et écrire, c’est mieux vivre ! »