Blanc-Seing

Blanc-Seing

L’amour. Qu’il conviendrait, du reste, d’écrire avec une Majuscule. Que n’a-t-on dit de l’amour depuis les romans courtois jusqu’à notre époque contemporaine en passant par Roméo et Juliette; Tristan et Yseut ? Combien de déclinaisons tantôt romantiques, lyriques, épiques ou bien simplement versant dans le prosaïque le plus déconcertant. Quant à l’amour filial célébré par Madame de Sévigné dans ses Lettres, rien ne pourrait en égaler  l’écriture hantée par un « être en fuite » dont elle n’aperçoit guère que les contours de l’absence. L’amour, cet absolu que, toujours l’on relativise, afin de le rendre mieux visible. Sans doute, eu égard à la teneur des sentiments qu’il est censé mettre en exergue, s’attend-on à une prose des plus sages, à des thèmes épurés, à des considérations émollientes. Sans doute !

Et pourtant l’on peut, comme Donatien et ses acolytes porter la narration sur d’autres fonts baptismaux. Certes plus verticaux, certes plus arides mais non moins utiles à une compréhension du-dedans de ce qui se joue entre les êtres, dans le labyrinthe de leur naturelle complexité. L’amour, on peut l’écrire en gris, ou bien lui préférer le blanc ou le noir. Question d’inclination aux couleurs, de pente personnelle, de façon dont on s’y prend afin d’avoir une explication avec les choses. Ce que semble avoir retenu Marc Villemain, avec un certain bonheur et une promesse d’efficacité, c’est l’ajointement des deux tonalités, leur urticante ligne de fracture. Car, si l’on peut dire dans une gamme monochrome, l’on peut aussi bien l’exprimer par l’exercice du contraste. De la dialectique. Nous suggérions, en titre, le recours à l’absurde comme moyen de démonstration. Certes, préférer les coups et blessures aux caresses paraît, de prime abord, relever d’un genre d’inconvenance ou peut-être même, d’irrespect du lecteur. Cependant, parfois, les choses n’apparaissent qu’à être chamboulées, les sentiments à être mis au pied du mur, les effusions du cœur à être soumises à une saignée comme les pratiquaient les médecins selon Molière.

Si Marie et Donatien paraissent ne plus être en phase avec les us et coutumes de la jeunesse, s’ils semblent désespérer de la capacité de l’homme à s’amender, à faire preuve de générosité, d’altruisme, de don de soi, ceci s’inscrit en eux comme un moindre mal, une simple tendance du siècle à s’enliser dans la première immanence venue. Non, ce qui les taraude jusqu’au tréfonds de l’âme, c’est qu’ils estiment avoir perdu l’amour de leur fils Julien, porte-parole malgré lui d’une bien piètre idéologie en fonction de laquelle le reniement des « Anciens » semble être la seule voie de salut s’offrant à une génération perdue dans ses contradictions. Le constat est sans appel. Certes il eût été plus facile de renoncer. Mais lorsqu’on s’appelle Marie, Donatien, on ne capitule pas, on assume. Sans doute jusqu’à la désespérance ou à la survenue d’une si terrible désillusion qu’on n’en reviendra jamais. Les stigmates d’un amour blessé, jamais on ne les rend invisibles. Ça reste planté dans la chair comme un dard, dans l’esprit à la manière d’un souffle éteint, dans l’âme ou bien de ce qu’il en reste avec l’abrupt du naufrage.

Noir – Blanc. Dans la faille entre les deux, la révolte, la révolution qui se fomente entre amis, le néant qui fait ses boucles dangereuses.

Noire est la haine qui déroule son haleine fétide au-dessus des têtes chenues. Noir est le ressentiment des Aînés laissés pour solde de tous comptes. Noire la vengeance qui, partout, rampe à bas bruit, affûtant ses crocs de vampire. Noires les vilénies de tous ordres qui baignent dans l’odeur nauséabonde des caniveaux. Noire la Mort qui aiguise sa faux dans le dos des pauvres hères pensant détenir une once de vérité alors qu’ils sombrent à vau-l’eau. Noirs les sentiments qui ont retourné leurs gants et ne rêvent plus que de flageller l’autre, de le restituer au néant dont il vient et où il retournera avant même d’avoir compris de quoi il retourne entre les hommes de bonne volonté.

Blanche la mémoire où la triade Donatien-Marie-Julien est portée en haut d’une concrétion de calcite dans la clarté d’une grotte. Blancs les sentiments qui lient la grande communauté des apprentis-révolutionnaires. Blanches les seules cannes qu’ils connaissaient, qui étaient destinées aux hommes cernés de nuit afin qu’ils se repèrent et ne perdent pas pied, soient reconnus par les autres. Blanches sont les armes des cannes-épées qui, du fond de leur fourreau d’ébène, aiguisent leurs envies de meurtres. Blanc l’horizon où le projet des hommes se dissout dans un avenir des plus brumeux. Blanche la peur qui serre le ventre des Aînés, aussi bien ceux des Marmots qui auraient encore les lèvres dégoulinantes de lait si on les pressait entre ses doigts.

Noir – Blanc . L’insoutenable clignotement du sens, la perte des valeurs dans la gueule d’un puits sans fond.

Noir – Blanc . Le décret de ne plus considérer l’autre qu’a minima, de le reconduire à la condition du nul et non avenu, du contingent qui aurait pu paraître mais aussi bien ne jamais faire phénomène sur le praticable du monde.

Mais alors, se rendaient-ils même compte combien leurs considérations étaient grises, terreuses, ombrées de cendres vénéneuses ? Mais comment donc, Eux-les-promis-à-un-brillant -avenir l’auraient-ils pu, alors même qu’ils s’exonéraient de leur dette filiale ? Une paternité sans attribut, sans prédicat auquel s’attacher. Avait-on jamais vu pareille absurdité faire ses stupides entrechats à la face de la Terre ? Fallait-il que l’incompréhension fût partout régnante pour aboutir à de telles apories ! Mais comment les agoras modernes pouvaient-elles donner lieu à de tels discours vides de sens, pareils à de piètres guenilles intellectuelles ? Comment ?

« Comment », « Comment », « Comment ? »  C’est sans doute cette sorte de rumination quasiment aphasique dont Donatien devait être atteint, plusieurs années après sa Révolution avortée, là sur le banc « retiré de tout, lançant aux bestioles du canal ou de la contre-allée des bouts de miche du matin…« , des bouts de miche absurdes comme savent en jeter les désemparés du haut des voies ferrées, avant que le train ne passe et que l’ultime saut soit accompli.

Blanches – Noires – Blanches – Noires – Blanches – Noires les traverses qu’on ne voit déjà plus alors que les couloirs du monde s’emplissent de rumeurs assourdissantes.

Marc Villemain, nous avons une déclaration à vous faire, ainsi qu’à Donatien, Marie et à vos autres acolytes : « Nous vous aimons en noir et blanc. La couleur dans laquelle s’écrivent les plus belles gammes ! ».

Quant aux lecteurs, qu’ils s’empressent de lire Ils marchent le regard fier. Ils n’en ressortiront pas indemnes, mais c’est le rôle de toute bonne lecture que de participer à votre métamorphose. Qu’ils « marchent donc le regard fier », tous les hommes, toutes les femmes à la conscience droite et ouverte. Nous avons infiniment besoin d’eux pour continuer à avancer !

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