Charles Ficat, La Revue des deux mondes
Remarqué en 2014 pour son Goncourt de la nouvelle, Vie de monsieur Leguat, puis en 2015 avec Pourquoi le saut des baleines (lauréat du prix des Gens de mer), Nicolas Cavaillès revient en librairie avec une méditation sur la descendance du couple Robert et Clara Schumann. Ces deux musiciens de génie ont engendré pas moins de huit enfants qui à des degrés divers ont tous été marqués par le démon de l’art. Morts à des époques différentes – Émile partira le premier à l’âge d’un an en 1847 alors que sa sœur Eugénie s’éteindra en 1938 –, ils portent chacun en héritage une trace de la folie paternelle. Ces orphelins ont affronté de plein fouet la relation tumultueuse de leur père à sa propre enfance, marquée par la solitude et la mort. Dès lors, à ce dernier la musique se révéla une échappatoire dans laquelle exprimer ses angoisses et ses tourments. C’est cette douleur qui rend aujourd’hui les compositions de Robert Schumann si poignantes – au-delà des épreuves de son destin.
Dans la vie de chaque enfant Schumann repose une profonde souffrance intérieure, un mystère indicible, un fardeau secret. Ce tableau de famille restitue l’ampleur du drame qu’on n’aurait pas imaginé si pesant. En une langue travaillée, Nicolas Cavaillès a recomposé cette tragédie généalogique qui participe de l’histoire du romantisme, mais s’inscrit dans une réflexion plus large encore : « Ainsi nourrissons-nous au fond de nous-mêmes, nous autres excroissances que l’on appelle adultes, à la fois l’obscur regret de notre animalité originelle, et une méconnaissance amère et lâche de cette créature aux mille visages et aux mille souffrances, muette et polymorphe, malléable et non moins fugitive, que l’on appelle enfant. » Cette plainte doublée d’une interrogation trouve un écho jusqu’à nous. Il suffit de réécouter les Scènes d’enfants de Robert Schumann pour s’en persuader tant les variations du piano bouleversent notre sensibilité.