Éric Dussert, Le Matricule des anges
Les ouvreurs l’appellent Charlot
La reparution de La Jungle du cinéma ( 1921) de Louis Delluc {1890-1924) donne l’occasion de faire revivre cet enfant vite enfui du cinéma et de renouveler le souvenir de ses nouvelles… presque zoologiques. Ce sont presque des chroniques où un infime « rien », une anecdote offre l’occasion d’aperçus pétillants incrustés dans des récits joyeux et spirituels. Louis Delluc raconte comment bat le pouls de son époque obnubilée par les images qui bougent sur l’écran blanc. Son époque et ses contemporains qui ne sont pas tous des zèbres. Sont convoqués le téléphone de sa petite amie Annie Angé, les mémoires d’un figurant, les aventures d’un chien de cirque ou la pellicule d’un « film artistique » puisque, « dans un vil accès de reportage, j’ai voulu me documenter». Pour le coup, c’est nous qui sommes informés d’un univers alors émergeant où règnent des démiurges qui peuvent se nommer Cherner. Rappel : Cherner, c’était « l’as des as dans la confrérie des opérateurs cinématographiques, j’allais dire géographique, qui font le tour du monde et enregistrent le pittoresque universel. Quel vaste champ de rêverie que celui de ces globe-trotteurs ! On pense sans hésiter à Rudyard Kipling errant sur l’Himalaya avec un Kodak en sautoir ».
Depuis 1921, le cinéma peut nous trouver un peu blasés (voyez la ravageuse Anti-Cyclopédie du cinéma de Vincenot et Prelle, Wombat), mais le visionnage d’un film comme L’Ange blessé d’Emir Baigazin (Capricci) nous ramène illico aux meilleures pages du promoteur Delluc qui nous rend l’énergie de ses trente ans, délicieusement nimbée des « fumées de l’enthousiasme ».