Revue Études • Alexis Jenni
La version française de ce livre commence par un avertissement : les Français sont de célèbres buveurs, mais ne sont pas de grands ivrognes. Mark Forsyth, britannique, vient d’un pays où l’on ne va pas « prendre l’apéro », mais sciemment « se saouler », et il nous explique ici méthodiquement les subtilités et les règles des pratiques de l’ivresse. L’alcool a, en effet, une place dans toutes les civilisations (même la civilisation islamique, en ses débuts) qui, toutes, ont édicté des règles et des rituels pour canaliser le désir que l’on en a et les effets de son excès. C’est là le principe de ce brillant petit livre : si l’alcool est une porte ouverte sur le chaos, puisque son effet physiologique est universel, en revanche, on ne boit pas n’importe comment et chaque civilisation a, à sa manière, donné un cadre à ce dérapage par des représentations et des règles, que l’on tâche plus ou moins de suivre. Et Forsyth de constituer ainsi une histoire mondiale de l’ivresse, tout à la fois sérieuse, documentée et extrêmement drôle – ce serait dommage d’avoir le vin triste sur un tel sujet. Ces pages que l’on tourne avec curiosité et plaisir sont d’un ton très britannique : tout à la fois d’une intelligence pénétrante et d’un humour dévastateur. Chaque chapitre est consacré à une civilisation, à une époque ou à un des grands moments de l’ivresse, de l’Égypte ancienne à la Prohibition américaine, du Banquet de Platon à la naissance du pub anglais, avec des anecdotes que l’on déguste comme une bonne pinte, accoudé au bar avec un sourire en coin. Un livre qui n’aura d’autres effets secondaires que de nous en faire savoir davantage sur un sujet universel, et de nous donner un peu plus d’intelligence pour comprendre comment les hommes vivent.