Loïc Vennin, AFP
En 1876, Rimbaud s’enrôle dans l’armée néerlandaise et rejoint l’île indonésienne de Java. Arrivé sur place, il déserte et fuit dans la jungle. Ce qu’il a fait ensuite, nul ne le sait. Un auteur américain est parti sur ses traces pour tenter de résoudre le mystère.
« C’est comme une histoire de Sherlock Holmes » : Jamie James savait qu’en se lançant sur les traces du voyage le plus énigmatique d’Arthur Rimbaud (1854-1891), il devrait se faire détective. On sait tout, ou presque, des périples du poète français en Afrique et au Moyen-Orient, desquels il a envoyé près de deux cent lettres. Mais on en connaît si peu de cette échappée sur l’île de Java.
« C’est la plus grande énigme de sa vie mouvementée, écrit le critique et écrivain Jamie James dans Rimbaud à Java, le Voyage perdu. Il n’a jamais rien écrit sur Java car c’était un fugitif: il aurait pu se faire arrêter », explique à l’AFP le Texan, passionné de Rimbaud depuis l’enfance et qui vit dorénavant sur l’île indonésienne de Bali.
On peut seulement dire avec certitude que, le 10 juin 1876, à l’âge de 21 ans, Rimbaud embarque pour les Indes néerlandaises (l’actuelle Indonésie). Dans une décision fantasque typiquement rimbaldienne, le poète qui a écrit l’antimilitariste Dormeur du val vient de s’engager pour six ans dans l’armée coloniale néerlandaise.
« C’était l’appel de l’argent et de l’Asie », explique Jamie: 300 florins étaient versés à tout engagé, une petite fortune à l’époque, et Rimbaud y aura certainement vu là l’occasion de rejoindre enfin cet Orient qui l’attirait tant.
Arrivé le 22 juillet à Batavia, l’actuelle Jakarta, Rimbaud et des centaines d’autres pioupious rejoignent leur garnison à Salatiga, un village du centre de l’île de Java accroché aux flancs du Merlabu, un volcan endormi.
Jamais « l’homme aux semelles de vent » ne se retrouvera aussi loin de sa mère patrie. L’auteur du Bateau ivre — grand amateur d’alcool — aura certainement apprécié que la consommation de gin y fût non seulement autorisée mais encouragée, pour donner courage aux soldats.
Mais Rimbaud ne restera que deux semaines dans la garnison. Le 15 août, il déserte, abandonnant sa fourragère qui sera vendue au profit de l’orphelinat local. On ne retrouve sa trace que le 31 décembre 1876, où il réapparaît chez sa mère, à Charleville-Mézières, dans le nord de la France.
Entre ces deux dates, demeurent quatre mois et demi de mystère, qui ont suscité toutes sortes de spéculations. Paterne Berrichon, qui s’est catapulté biographe de Rimbaud après avoir épousé sa soeur — bien qu’il n’ait jamais rencontré le poète — assurait que Rimbaud s’était caché dans la forêt vierge où des orangs-outans lui avaient appris à survivre. Berrichon ne savait pas que ces grands singes avaient disparu de Java depuis déjà deux siècles. « Non, Rimbaud n’était pas Tarzan », répond Jamie James.
Les experts de Rimbaud n’arrivent pas non plus à s’entendre sur le moment où le poète a pris le bateau du retour vers l’Europe. La plupart croient en l’hypothèse d’un embarquement, le 30 août, à bord du Wandering Chief, un navire écossais qui arrivera en Irlande le 6 décembre 1876. Mais il n’existe aucune preuve de la présence de Rimbaud sur le pont du bateau. […] L’écrivain s’est refusé à inventer, « car cela ne réussit presque jamais », mais donne plutôt à voir Java telle que l’île était à l’époque, notamment par l’intermédiaire des écrits des Orientalistes au charme suranné et que Rimbaud a très probablement lus.
« Peut-être a-t-il maintenu un journal et qu’il apparaîtra un jour dans un marché aux puces de Paris. Mais cela a autant de chance d’arriver qu’une chute de neige sur Bali », lâche le Texan.