Le Figaro • Nicolas Ungemuth
Je pense donc je fuis
C’est un roman audacieusement conçu. M. Mittelmann, professeur de philosophie, vient de prendre sa retraite. La soixantaine est là. Il n’a plus besoin de se réveiller avant 6 heures du matin pour prendre le RER. Arrive le flashback, finement maîtrisé. Des années avant, la femme de sa vie l’a quitté brutalement pour l’un de ses amis (à elle) qu’elle invitait régulièrement (chez eux). Un bellâtre, inculte, sportif. Un crétin. Mittelmann le haïssait, ainsi que la plupart des amis de sa femme. Dans un premier temps, il est plutôt jovial de mettre fin à ce couple où l’amour avait disparu depuis longtemps ( « Le temps ronge l’amour comme l’acide », faisait chanter Gainsbourg à Jane Birkin dans la Ballade de Johnny Jane). Ensuite arrivent la dépression, les insomnies, les manies, la chute. Puis, ce frais sexagénaire devient fou d’une collègue prof d’anglais nettement plus jeune. Passion rapide, sexe exacerbé. Rien ne va plus, assez rapidement : la jeune femme ressemble plus à Lilith qu’à Ève. C’est reparti pour le célibat. Mittelmann se reconnaît dans le souvenir de ses parents communistes, un couple pour qui la routine a anéanti la passion : « L’objectif étant de toujours tuer le temps avant qu’il ne nous tue. » Mais le professeur, romancier raté à ses heures, aime son métier et ses élèves. Éric Bonnargent a le talent de glisser dans son roman des cours de philo dans lesquels Mittelmann évoque à un auditoire curieux Nietzsche, Socrate, mais aussi Joyce ou Pessoa. Le livre est brillant, touchant, et décrit avec douceur ce qui devrait être « le plus beau métier du monde ».