Nicolas Ungemuth, Le Figaro magazine
C’était juste après la sortie des Lumières de la ville. Début 1931, Charlie Chaplin décide de souffler en s’offrant un tour du monde qui durera seize mois, et d’en offrir le récit aux lectrices de Woman’s Home Companion. Il est en train de divorcer de sa deuxième femme, a des ennuis avec le fisc et s’inquiète de l’arrivée du cinéma parlant. Mais Les Lumières de la ville triomphent, et c’est rasséréné que le cinéaste entreprend son voyage. À Londres, ville de son enfance, il visite l’orphelinat où il passa quelque temps et soupe avec Churchill et Bernard Shaw. À Berlin, il sympathise avec Einstein. En Normandie, il chasse le sanglier à l’épieu avec le duc de Westminster. À Nice, il festoie en compagnie d’Oswald Mosley (« L’un des jeunes hommes politiques les plus prometteurs »), qui fondera quelques mois plus tard la British Union of Fascists. À Grasse, il séjourne chez H. G. Wells. À côté de Monte-Carlo, il dîne avec Morand. Puis file à Alger avant de rejoindre Douglas Fairbanks pour deux mois de ski à Saint-Moritz. Plus tard, c’est Rome où Mussolini lui pose un lapin. Ensuite, vroum ! direction Ceylan, Java, Bali — qui l’émerveille — et Tokyo. Chaplin parle peu de lui : on découvre juste qu’il aime Nietzsche, Schopenhauer, Emerson, Plutarque et la Bible, et qu’il pleure à Kennington, le quartier où il grandit dans la pauvreté. Son récit reste néanmoins un document jouissif sur un monde qui n’allait pas tarder à disparaître.