Philippe Brenot, Magazine En jeu
Le renouveau de la bicyclette en ville a suscité la création de cours de remise à niveau destinés aux adultes souhaitant retrouver l’agilité de leur jeunesse avant de s’engager sur la chaussée. Qui a jeté un regard amusé à ces grands enfants malhabiles sourira au plaisant récit que Mark Twain fait de son propre apprentissage dans Dompter la bicyclette, un texte que les Éditions du Sonneur ont eu la bonne idée de traduire. Mais qu’on ne se méprenne pas : quand en mai 1884, à près de cinquante ans, l’immortel auteur de Huckleberry Finn s’offre une bicyclette, c’est avec une âme de pionnier et mu par cette fascination pour le progrès technique qui, dix ans plus tôt, l’avait déjà convaincu de faire l’achat d’une machine à écrire. Son vélo dernier cri est encore l’un de ces engins dont la roue est deux fois plus grande que sa sœur de l’arrière, et monter en selle tient déjà de l’exploit. Ceci explique qu’après avoir dompté l’animal — et essuyé quelques chutes et moqueries —, Mark Twain adresse au lecteur la recommandation suivante : « Procurez-vous une bicyclette. Vous ne le regretterez pas, si vous survivez. »
C’est justement cette appréhension qui — à vingt ans de distance et alors que la bicyclette, domestiquée, commence à ressembler aux compagnes de nos virées d’aujourd’hui — retient l’écrivain et journaliste italien Edmondo de Amicis de franchir le pas. En 1906, à 60 ans il est un homme mûr écartelé entre sa jeunesse d’esprit et son corps alourdi. De la frustration qu’il éprouve à voir ses amis s’enticher de la petite reine nait La Tentation de la bicyclette, « esquisse » dont le préfacier note qu’elle « laisse entrevoir, sous son regard d’enfant émerveillé, la solitude d’un écrivain que la vieillesse obsède ».