Romain Verger, Membrane
Dans ce texte initialement publié en 1857, un écrivain surmené se voit prescrire une cure d’oisiveté par son médecin : « Abstenez-vous désormais de lire et d’écrire, d’avoir des fréquentations par top excitantes ; évitez les contrariétés, les angoisses ; ne pensez plus ; gardez-vous des états de grande joie comme de la mélancolie… » S’il se prête d’abord volontiers au remède en fuyant la ville pour la campagne anglaise en compagnie de sa femme, il ne tarde pas à déchanter. Et le récit qu’il en tire et qui en constitue l’échec en est des plus savoureux.
Si l’agitation et le vacarme se dissolvent dans l’immensité urbaine, le moindre bruit lui devient ici une torture, surtout lorsque poules, chiens, joueurs de boules et ouvriers avinés (« des hordes d’indigènes aux physionomies cadavériques qui ne desserrent les lèvres que pour vider, lugubres, des chopines de grès brun et s’invectiver les uns les autres ») semblent s’être donné le mot pour caqueter, aboyer ou brailler sous sa fenêtre. On est bien loin du calme champêtre dont rêvait notre homme. Qu’à cela ne tienne ! Tous deux font leurs valises et fuient en direction de la mer. Mais c’est une autre torture qui attend le malade : celle de l’oisiveté éprouvée cette fois dans sa pesante vacuité. L’homme n’est pas poète pour un sou. Et ce qui aurait pu devenir à ses yeux une expérience purement contemplative confine au plus stérile ennui : « La mer. Oui, la mer, bien sûr. Si vaste, si grise, si calme… si calme, si grise, si vaste. Qu’en dire de plus ? Rien. »
Cet adepte de la bougeotte n’y met pas de mauvaise volonté mais sa nature l’en empêche tout simplement. Et son souci de «garder l’esprit vide» est à lui seul une occupation à plein temps qui lui use les nerfs. Sans compter qu’il a tout loisir d’observer sa femme et de la découvrir sous un jour nouveau…
Un texte enlevé et plein d’humour.