Anaïs ou les Gravières
Lionel-Édouard Martin
Ouvrage publié sous la direction de Marc Villemain
Un journaliste, mélancolique, désœuvré, accablé par un deuil, mène l’enquête auprès de ceux qui ont connu Anaïs, jeune fille assassinée. Sur son chemin, il croise des personnages atypiques, Petit Louis, le grand Mao, Toto Bauze, le Légionnaire…
Au prétexte d’un meurtre, Lionel-Édouard Martin détourne la notion d’enquête et transgresse toutes les règles du roman dit policier. Si du genre il conserve la tension caractéristique, c’est pour mieux dire les incertitudes de l’existence et dresser le portrait d’hommes et de femmes aussi ordinaires que singuliers.
Jean-Pierre Longre, Notes et chroniques
Anaïs ou les Gravières est un roman aux multiples facettes. Si d’emblée il prend une tournure policière (le meurtre d’une jeune fille, l’enquête d’un journaliste), on s’aperçoit vite que ce n’est pas vraiment ce qui compte. La rencontre de témoins tourne à la galerie de portraits pittoresques, sensibles, emplis de cette humanité que l’on trouve au fond de tous les yeux, pour peu qu’on le veuille. Il y a Anaïs, la lycéenne morte que l’on finira par connaître grâce aux autres, sa mère, qui confie au narrateur son histoire à la fois commune et unique, Mao, Petit louis, Toto Beauze, le légionnaire… Le lecteur les découvre peu à peu — jamais complètement, car le silence et le non-dit forment une part importante de leurs personnalités —, et devine qui est Nathalie, celle dont le destin reste comme une plaie ouverte dans la trame de l’histoire, comme un reflet pathétique de celui d’Anaïs.
Car les récits enchâssés dans l’intrigue, les souvenirs personnels et collectifs, les évocations de paysages campagnards, minéraux, industriels ou urbains, les portraits, tout cela tient dans l’œil de l’observateur, qui lui-même, dans sa solitude, guette le regard des autres, se voit dans l’autre comme dans un miroir : « Mao. Je dis Mao. Je pourrais aussi bien dire “moi”. Moi, c’est presque dans Mao. Mao, c’est presque moi. » Anaïs elle-même, dès avant sa naissance, a cette puissance du regard silencieux qui perce et reflète son entourage. Sa mère le sent : « À Mao, j’ai dit que j’étais enceinte d’une boule de regards, que j’allais accoucher dans quelques mois d’un gros œil dont il n’était pas responsable. »
Et l’écriture elle-même réfléchit le récit (et vice-versa), puisque le narrateur (l’auteur, aussi bien) ne rechigne pas aux considérations sur son travail, son « droit d’invention » : « Juste inventer ; prendre mon deuil au corps, le travailler de mots. » On y revient toujours : dans ce roman en forme d’enquête, l’important c’est la vie, la mort, les « gens » que l’on interroge par les mots, les silences et le regard, toujours en quête de soi.
Romain Verger, Membrane
Ce roman est l’émouvant exorcisme d’un deuil, qui procède de la métamorphose d’une parole : l’écriture journalistique débouche sur la possibilité d’un roman grâce auquel le narrateur va « s’asseoir en face de soi-même, endosser tous les rôles », maîtriser et organiser la matière première de son drame et dépasser son désespoir solitaire. Mais, et c’est me semble-t-il l’un des aspects les plus singuliers du roman, la narration se déploie comme un réseau subtile de dédoublements, de schizes identitaires que subit ou expérimente le narrateur (n’est-ce pas aussi l’épreuve à laquelle conduit l’exercice du roman ?) qui fonde le pari de se retrouver, en se recomposant, après avoir fait l’expérience de son éclatement.
ISBN : 9782916136455
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 160
Parution : 4 novembre 2013