Après Gerda
Pierre-François Moreau
À la fin du mois d’août 1937, le reporter de guerre Robert Capa débarque à New York après une traversée de l’Atlantique en paquebot. Il a 23 ans, il est déjà veuf : un mois plus tôt, sa compagne photographe Gerda Taro a été tuée lors de la guerre d’Espagne à Brunete, près de Madrid, alors qu’il se trouvait à Paris.
Ce séjour est l’occasion pour Capa de s’extraire de son désespoir et de mener à bien un projet de livre. Un album à la mémoire de Gerda, intitulé Death in the Making, pour évoquer en images les douze derniers mois qu’ils ont passés en Espagne à couvrir la Guerre civile.
Après Gerda, livre sur la naissance d’un livre, roman où se mêle histoire et fiction, recrée le tourbillon de ces six semaines à New York, lors desquelles remontent les souvenirs de cette année 1936-1937, ses violences, ses déchirements qui bouleversèrent aussi bien le couple Taro-Capa que l’Europe entière.
Né en 1954, Pierre-François Moreau est romancier et scénariste.
Veneranda Paladino, Reflets, Dernières Nouvelles d'Alsace
Journaliste, écrivain et scénariste, Pierre-François Moreau se glisse dans la tête du photographe de guerre Robert Capa qui transcende la mort de son aimée, Gerda Taro, en création artistique.
DEATH IN THE MAKING. Direct, tel un coup de poing à l’estomac, résonne le titre anglais du livre qu’élabore le photographe Robert Capa pour sa bien aimée Gerda Taro. La grande offensive de Brunette près de Madrid brise le destin exceptionnel de sa bien aimée en ce mois de juillet 1937. Débarqué à New York, Capa envisage de lui dresser ce tombeau livresque et de rendre justice au talent, à l’engagement tant moral que physique de « son alouette de Brunette ».
La mort est partout en Espagne, la guerre civile a déjà fait 500 000 victimes en un an, à l’été 1937. Gerda Taro de son vrai nom Gerta Pohorylle meurt à l’âge de 27 ans. Armée de son Leica, elle photographiait la résistance farouche des Républicains quand un char la fauche.
C’est à Paris en 1934 à la terrasse du Dôme qu’elle rencontre celui qui s’appelle encore André Friedmann et qui va se forger une légende de photographe de guerre. Il a quitté la Hongrie nationaliste de Horthy pour Berlin avant d’arriver dans la capitale française. Elle a délaissé sa ville natale de Stuttgart pour Leipzig où elle a connu la prison avant de venir en France. « Deux exilés lâchés au milieu des autres dans l’hostilité ambiante, la pénurie, sans parler des emplois soumis à la préférence nationale. Dois-je dire qu’elle m’a fait languir », écrit Pierre-François Moreau. « Gerda m’a fasciné par le contraste de sa joliesse suave de poupée de luxe et sa maturité distante de bourgeoise cultivée ».
À Paris, Gerda partage l’appartement d’un ami photographe Fred Stein chez qui elle va aider Capa à développer ses négatifs des images prises en Espagne, en 1935.
« Je suis mort mais je m’obstine, dit un refrain irlandais… Ma légende a une haleine chargée et mon regard divague. Une gueule de livre de condoléances. À 23 ans, déjà vieux, déjà veuf ». Tout à la fois avec délicatesse empathique et grande vigueur, l’écrivain Pierre-François Moreau ventriloque Robert Capa. En se glissant dans la tête d’un homme s’accrochant à la rançon de sa célébrité tel un paquebot ivre, l’auteur restitue la force de l’engagement, l’énergie vitale de Gerda. Que la postérité jusqu’à peu a laissée dans l’ombre de Capa. Et pourtant c’est elle qui le pousse à changer de nom, lui soufflant de s’appeler Robert. « Robert requin, Robert Capa, photographe américain »…
L’homme est meurtri par l’inanité du destin, sa bien aimée meurt alors qu’il était à Paris. C’est à Ted, le commissaire politique de la Blood Unit, qu’il avait confié Gerda.
Munie d’une carte de presse, Gerda suit Capa en reportage dès février 1936. Sur le terrain, Gerda apprend vite, elle signe de remarquables images de la première victoire des Républicains à Guadalajara, près de Madrid. Les reportages publiés dans les magazines Vu et Regards, le quotidien Ce soir dont Capa devient le photographe officiel sont signés au mieux Capa & Taro, ou simplement Capa.
À l‘évocation vibrante de la guerre, une sale affaire « et quoiqu’on en dise on reste en-dessous de la vérité », l’auteur met en perspective la fabrique des images, de la fiction. Notamment celle du Milicien tombant de Capa, mise en scène et devenue l’icône anarcho-pacifiste. Ou encore les écrits d’Ernest Hemingway qui s’arrangent avec la vérité. On croise dans cette fresque humaine, Aragon, Hemingway, André Kertész, Joris Ivens, les personnalités qui ont assisté au Congrès international des écrivains Malraux, Neruda, Tzara, etc.
C’est un Capa saisi par l’aveuglement de sa passion que met en scène Pierre-François Moreau. Qui le fait parler, penser au long d’un vertigineux examen de conscience. Mettant aussi en relief les failles de « l’embrouilleur de génie » et les difficultés d’une femme à imposer son talent dans un monde d’hommes.
Christian Authier, L’Opinion indépendante
Dans un roman inspiré, Pierre-François Moreau revient sur le couple formé par les photographes reporters Robert Capa et Gerda Taro
Si tout le monde ou presque connaît le nom de Robert Capa ainsi que ses photographies les plus célèbres (celles du débarquement en Normandie ou celle baptisée « Mort d’un soldat républicain » pendant la guerre d’Espagne), on connaît moins le nom de Gerda Taro. Pourtant, la photographe, née en 1910 en Allemagne, « inventa » Robert Capa, dont elle fut la compagne, en créant son pseudonyme et en lançant sa carrière. Après Gerda ne se contente pas de rendre justice à cette femme morte le 26 juillet 1936 lors de la bataille de Brunete et qui est enterrée au Père-Lachaise le jour de ses vingt-sept ans devant des milliers de parisiens dont Neruda et Aragon qui prononcent son oraison funèbre.
Le roman de Pierre-François Moreau se promène entre fiction et histoire, procède à des va-et-vient entre le mois d’août 1937 (qui voit Capa en deuil partir pour New York à bord d’un paquebot) et le passé du couple. Accompagné par un jeune journaliste communiste canadien qui assista à la mort de Gerda, Capa, avec quelques dollars en poche, court après les contrats dans la ville debout. Surtout, mimant la vie «comme d’autres font semblant d’être morts», il boit à en mourir. Les souvenirs remontent. On croise Hemingway, Aragon, Joris Ivens, André Kertész ou Dos Passos sans que ces apparitions ne paraissent forcées. Capa veut rendre hommage à Gerda avec un album, Death in the Making, rassemblant leurs photos. Hommage ambigu : les photos ne seront pas signées, mais le livre le sera par Capa…
Mentir-vrai
Pierre-François Moreau revient également sur la plus célèbre photo de Robert Capa, celle qui a symbolisé la guerre d’Espagne pour des millions de personnes à travers les époques. Or, il s’agissait d’une imposture, des miliciens ayant pris la pose. Ironie (noire) de l’histoire : ils mourront «réellement» un ou deux jours plus tard…
Alors, simple falsificateur Capa ? Ou adepte d’un certain mentir-vrai ? « Cette photo a beau être une mise en scène, elle raconte pourtant la vérité du sacrifice de ces gars, paysans andalous anonymes qui voulaient une refonte de la loi agraire pour pouvoir manger du fruit de leur terre, de leur sueur. Un champ de chaume coupé, voilà pourquoi ils étaient prêts à mourir. Cette image raconte aussi ce mois de septembre 1936 avec Gerda, notre complicité malicieuse, nos illusions adolescentes. Espejo, le miroir de nos espérances. Un journaliste de La Voz, un quotidien madrilène, a parlé de nous dans l’un de ses articles. Pour lui, nous étions presque des enfants, des insouciants plantés debout à photographier sous la mitraille le passage d’un avion au-dessus d’un barrage de miliciens. J’avais vingt-deux ans, et Gerda vingt-six », dit-il. Roman d’amour, roman historique démystifiant quelques images pieuses, Après Gerda est peut-être avant tout – comme le suggère Capa – un roman sur la jeunesse et et l’insouciance, tout ce bonheur que l’on ne savait pas.
ISBN : 9782373850796
ISBN ebook : 9782373850871
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 160
Parution : 24 mai 2018