Circus Parade
Jim Tully
Traduction de l’anglais (États-Unis) et préface de Thierry Beauchamp
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du Livre
Jim Tully définissait lui-même Circus Parade comme l’une de ses « œuvres des bas-fonds ». Précurseur du roman noir américain, il livre dans ce récit mosaïque, à l’écriture rapide et syncopée, un chapitre de son adolescence tumultueuse : son passage dans un cirque où il côtoya des personnages hauts en couleur – pour le meilleur parfois, et souvent pour le pire : acrobates, dompteurs de lions, dresseurs d’éléphants, monstres de foire, rabatteurs, manœuvres…
Circus Parade rencontra, à sa parution en 1927, un succès immédiat, aussi bien auprès du public – il fut réimprimé à plusieurs milliers d’exemplaires en quelques semaines – que de la critique. Bref, tout aurait été pour le mieux si Jim Tully n’avait pas essuyé les tirs croisés des censeurs et des défenseurs du cirque, notamment la Circus Fans’ Association of America. Tout au long de sa carrière littéraire, qui débuta avec le succès de Vagabonds de la vie, Autobiographie d’un hobo, Jim Tully souleva l’indignation des ligues de vertus et des gardiens de la morale. Or son œuvre nous offre un éclairage précieux sur le monde des nomades, des marginaux, des persécutés et des va-nu-pieds de l’Amérique du début du XXe siècle.
Né en 1886 dans l’Ohio, Jim Tully fut placé dans un orphelinat très jeune. Il y passa plusieurs années avant de devenir garçon de ferme et chaînier.
En 1901, il entama sa vie de « gamin du rail » et arpenta le pays d’est en ouest et du nord au sud, avant de se poser dans l’Ohio en 1907, où il se mit à écrire. En 1908, il décida de se lancer dans une carrière de boxeur professionnel, histoire de rentabiliser l’enseignement pratique reçu sur la route. Son premier livre, Emmett Lawler, fut publié en 1922. Ce galop d’essai lui ouvrit les portes des studios d’Hollywood : la Samuel Goldwyn Producing Corporation le recruta comme lecteur de scénarii. En 1924, Charlie Chaplin l’engagea comme chargé de relations publiques et conseiller spécial pendant la production et le tournage de La Ruée vers l’or. Dès lors, Jim Tully se partagea entre la littérature et ses activités journalistiques pour American Mercury, Esquire, Liberty, Photoplay, Vanity Fair et de nombreux autres magazines.
Entre 1924 et 1930, les succès littéraires de Jim Tully s’enchaînèrent. Dans ces ouvrages, il évoque des univers très différents : ceux d’Hollywood, du cirque, de l’orphelinat et de la prison. Par le détail concret et le mot juste, il était devenu un maître de l’esquisse réaliste et l’un des précurseurs d’un style auquel le roman noir offrirait bientôt ses lettres de noblesse : le hard-boiled.
Épuisé par plusieurs attaques, il s’éteignit le 22 juin 1947 à Los Angeles. Il n’avait pas encore soixante et un ans.
Dominique Autrand, Le Monde diplomatique
Le hobo, ce vagabond qui se déplace clandestinement de ville en ville sur des trains de marchandises, multiplie les petits boulots et apprend la vie, est une figure récurrente de la littérature américaine, rendue célèbre par Jack London et plus tard par Jack Kerouac, qui furent eux-mêmes de ces aventuriers magnifiques. Un autre représentant en est Jim Tully (probablement né en 1886, il meurt en 1947), qui quitta son Ohio natal à 15 ans. De 1901 à 1907, le « gamin du rail » pratiqua toutes sortes de métiers, connut la prison et se forgea une solide expérience de la nature humaine, dont il fit vingt ans plus tard la matière de ses livres. Il devint alors rapidement célèbre, même si ses sujets ainsi que son style direct et cru lui valurent quelques déboires avec les ligues de vertu et autres censeurs. Il accéda même aux studios de Hollywood et fut le conseiller spécial de Charlie Chaplin pour La Ruée vers l’or, en 1924. On ne peut que savoir gré aux Éditions du Sonneur de s’employer à faire redécouvrir son œuvre, qui compte quatorze ouvrages.
Circus Parade, qui paraît en 1927, relate quelques épisodes de la vie d’un cirque itinérant. Et Tully sait à l’évidence de quoi il parle. L’abondance de détails concrets le prouve. Pas de magie ni de paillettes : on serait plutôt dans l’univers cruel et glaçant du film Freaks, réalisé quelques années plus tard par Tod Browning. Ce qui déplaira fortement à la Circus Fans Association of America (Association américaine des amateurs de cirque)… Les dix wagons du cirque de Cameron sont peuplés de va-nu-pieds, repris de justice et autres rebuts de la société, devenus par raccroc monstres de foire, acrobates ou dompteurs, auxquels s’ajoutent les petits employés, manœuvres, monteurs de chapiteaux, poseurs de pieux, tous exploités sans vergogne par un patron escroc. Pour arnaquer le public, Cameron s’appuie sur sa bande d’aboyeurs, rabatteurs de gogos, « squales des cartes », escamoteurs et experts aux dés. Et pour se débarrasser d’un artiste sans le payer, il lui suffit de charger un de ses sbires de lui « montrer le feu rouge », autrement dit de l’éjecter du train en marche. La violence est omniprésente, et Tully la traite sur un mode rapide et sec qui annonce le roman noir américain. Les scènes brutales se succèdent : dompteur déchiqueté par des hyènes, bagarres sanglantes, mise à mort d’un Noir par des spectateurs racistes qui enflamment sa chemise enduite de goudron fondu.
L’auteur brosse aussi quelques portraits magnifiques. Lila, par exemple, la femme la plus grosse du monde, « chouette rêvant d’être un aigle », monstre au cœur tendre capable de mourir d’amour à la suite d’une passion malheureuse. Ou Jock, un ancien jockey qui s’occupe des chevaux, « vingt ans de pénitencier et siphon à morphine », mais aussi un homme qui a le sens de la fidélité en amitié. Ou encore Face de Craie, le clown noir accompagné de son chat galeux, qui est un personnage à part entière : « Nous étions trois vagabonds de la désolation, unis par la misère, d’une lucidité insondable », écrit Tully. Lucidité qui fait de lui un héraut des bas-fonds digne de Mark Twain ou Maxime Gorki, portant jusqu’à nous la voix des marginaux et des persécutés qu’il a côtoyés.
Sean J. Rose, Livres hebdo
Précurseur de la littérature américaine vernaculaire «hardboiled», Jim Tully témoigne de son expérience d’errance au sein d’un cirque dans l’entre-deux-guerres.
Dans l’Espagne du Siècle d’or naît le roman dit picaresque, un récit autobiographique d’un protagoniste pfcaro, « miséreux », agile et roubiard, qui entraîne le lecteur dans ses péripéties. Autres temps, autres mœurs… et autres narrateurs. En traversant quelques siècles et l’océan, le héros devient un chenapan du Mississippi chez Mark Twain ou un misfit aventurier avec Jack London… Et fin des années 1950, un antihéros bohème grâce à l’un des classiques de la littérature vagabonde américaine : le bien nommé Sur la route de Jack Kerouac, incontournable de la Beat generation. Pourtant, de tous les auteurs de fiction “hard-boiled”, « à la dure » comme l’œuf difficile à gober, à savoir sans mâcher ses mots et retranscrivant le parler vernaculaire des pauvres hères, travailleurs migrants et autres hobos, il en est un qui fut passablement oublié de ce côté-ci de l’Atlantique avant les efforts des Éditions du Sonneur : Jim Tully.
Après Vagabonds de la vie : autobiographie d’un hobo, dont la traduction a paru sous leur houlette en 2016, voici Circus parade, autre récit de vie picaresque dans le sud des États-Unis, où Tully raconte son expérience d’errance au sein d’un cirque. On y goûte à nouveau une prose à la fois simple et chatoyante (chapeau le traducteur !), avec cette syntaxe aussi cabossée que les existences auxquelles se frotte le narrateur. Les cirques de l’époque exploitent toutes sortes d’individus qui n’ont rien d’autres à vendre que leurs difformités ou leurs muscles – acrobaties périlleuses ou obésité monstrueuse données en pâture au public voyeur de l’empire du toc. Dans l’univers circassien, bien moins poétique que ses images d’Épinal, on croise les rebuts de la société, parmi lesquels des Noirs, anciens esclaves, que la nation a affranchis mais qui souffrent encore des pires discriminations raciales. Et toujours derrière le spectacle une féroce âpreté au gain, et une misère humaine que l’autre vie pleine de glamour de Jim Tully – il était attaché de presse de Charlie Chaplin, ami des célébrités d’Hollywood – n’a jamais fait oublier.
ISBN : 9782373850666
ISBN ebook : 9782373850925
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, États-unis
Période : XXe siècle
Pages : 240
Parution : 26 octobre 2017