Contes d’une poche et d’une autre poche
Karel Čapek
Traduit du tchèque par Barbora Faure et Maryse Poulette
Des empreintes qui s’arrêtent soudainement dans la neige, un homme qui a pour seul tort de paraître suspect, un voleur de cactus qui disparaît à l’autre bout du monde, un poète qui se transforme en détective, Dieu qui apparaît comme témoin de la justice humaine, une cellule de prison dont les occupants se repentent, un cadavre retrouvé dans une valise déposée à la consigne d’une gare… Dans ces quarante-huit nouvelles, dont plus de la moitié était inédite en français, Karel Čapek mêle l’ordinaire à l’extraordinaire, l’humour à la satire.
Les Contes d’une poche et d’une autre poche, qui relèvent du genre policier avant l’heure, dissèquent la vérité et jouent avec notre capacité à juger. Crimes, disparitions, énigmes, mystères, enquêtes, ces textes en forme de paraboles continuent de nous hanter longtemps après leur lecture.
« Il est temps de lire Čapek pour le rire insouciant qu’il crée dans ses contes, rire derrière lequel pointe souvent l’angoisse. »
Arthur Miller
« La lecture la plus agréable (et j’utilise cet adjectif sans malice aucune) que je connaisse ! »
Milan Kundera
Écrivain, journaliste, voyageur, photographe, et même jardinier, Karel Čapek (1890-1938) est une figure littéraire majeure de la première moitié du vingtième siècle. De sa pièce de théâtre RUR, à son récit Voyage vers le Nord, en passant par son précis L’Année du jardinier, Karel Čapek a développé une œuvre aux multiples aspects, toujours teintée d’un humour alerte.
Guillaume Contré, Le Matricule des Anges
Les récits policiers de Karel Čapek nous montrent un conteur hors pair dont la tendre ironie lui permet de dépeindre un monde fantaisiste et attachant.
Le Tchèque Karel Čapek n’a pas besoin de beaucoup de pages pour dérouler une intrigue policière aussi surprenante que bien construite. Les quarante-huit nouvelles qui composent ses Contes d’une poche et d’une autre poche (édités pour la première fois dans leur intégralité) semblent démontrer que l’on peut reproduire et faire varier un schéma souvent identique et illusoirement simple, sur le mode de la conversation, sans jamais s’épuiser, ni épuiser le lecteur. Pour ce faire, Čapek (1890-1938) joue d’une certaine bonhomie dans le ton et d’un sens avisé du détail, le tout dans une langue qui à l’évidence du quotidien ; une langue «populaire », pourquoi pas, sans artifices, quoique toujours raffinée. Les histoires que nous lisons sont d’ailleurs la plupart du temps rapportées soit par l’un des protagonistes, soit par un tiers, lors de ce que l’on pourrait imaginer être des conversations de café (ce qui s’accentue dans la deuxième partie du livre, les contes d’une autre poche, où chaque nouveau récit est raconté par l’un des intervenants en réponse au récit d’un autre, lors d’un dialogue amène et bon enfant).
En vérité, les courts récits ici rassemblés tiennent autant de la chronique de mœurs goguenarde et tendre dépeignant un joyeux petit monde pragois haut en couleur (rien n’est jamais trop dramatique, ici, même le plus sordide) que de la nouvelle policière stricto sensu. Qu’il s’agisse de raconter la mystérieuse disparition d’un acteur qui a poussé trop loin l’identification avec son personnage, les péripéties d’un voleur de cactus que seule une passion irrépressible pousse au crime, les pérégrinations d’un escroc au mariage qui finit par être lui-même victime d’une escroquerie ou encore le jugement dernier, un procès durant lequel Dieu n’est qu’un témoin jamais à charge (car il sait tout et, sachant tout, ne saurait justement juger), Čapek s’attarde toujours sur des détails incongrus, sur de légers glissements qui sont souvent la clé qui permet de dénouer un mystère a priori insoluble (comme cette histoire de bébé volé qui embête bien un policier vieux garçon qui, devant l’incapacité à différencier un nourrisson d’un autre, imagine un stratagème surprenant pour contourner ce problème).
Cependant, il est suffisamment malin pour manipuler à sa guise les codes du roman policier. Ainsi, bien souvent, le mystère à résoudre est avant tout pour lui une énigme poétique qui n’appelle pas nécessairement une résolution, ou, du moins, pas celle attendue.
Comme dans ce récit où l’archiviste Divisek vient consulter l’officier de police Mejzlik (un personnage récurrent du livre) pour l’aider à résoudre une sombre histoire familiale remontant au XVe siècle. Ou plus exemplairement dans cette histoire de traces de pas dans la neige qui s’interrompent brusquement, sans que l’on puisse savoir ce qu’il est advenu du marcheur : ce serait-il envolé, aurait-il soudainement disparu sans laisser, justement, de « traces » ? Ce qui amène le Commissaire Bartosek, aussi lucide que bourru, comme beaucoup des policiers du livre, à réfléchir sur la notion d’énigme, alors qu’un observateur incrédule des dites traces dans la neige l’a fait venir en pleine nuit : «Vous n’imaginez pas, Monsieur, le nombre d’énigmes qu’il peut y avoir dans ce monde. Chaque foyer, chaque famille est une énigme. En venant ici, j’ai entendu une jeune femme sangloter dans la petite maison là-bas. Monsieur, les énigmes ne nous regardent pas. Nous sommes payés pour le maintien de l’ordre. Qu’est-ce que vous croyez, que c’est par curiosité que nous poursuivons les criminels ? » Ailleurs ; l’inspecteur Holub chante les louanges des «vieux malfaiteurs à la carrière prolifique» qui, une fois attrapés « ne font pas d’histoires et se gardent bien de nier ». « Avoir affaire à un tel spécialiste, Messieurs, c’est un vrai plaisir », conclut-il.
Il y a quelque chose d’un monde idéal (mais certainement pas idéalisé) dans ces contes de poches, où chacun rempli son rôle à sa façon, que l’on soit policier, malfrat, notable ou homme de la rue. Une sorte de petit théâtre quotidien (comme dans cette nouvelle où les habitants d’une rue se réjouissent qu’il s’y passe enfin quelque chose, déclenchant ainsi la jalousie des rues voisines), car le crime, ici, pour le meilleur ou pour le pire, fait partie du quotidien, au même titre que nombre d’autres activités aussi grandioses ou aussi banales.
Jacqueline Dhéret, Université Populaire Jacques-Lacan, Ironik n°32
L’écrivain tchèque Karel Čapek, contemporain de Freud, dont une somme importante de nouvelles vient d’être traduite en français, nous enchante par son style ironique et incisif (Contes d’une poche et d’une autre poche, Paris, Les éditions du Sonneur, 2018). Une écriture qui interroge d’une façon unique les effets du stalinisme, joue du côté absurde de la norme, lequel n’apparait qu’avec les changements de l’univers linguistique qui l’organisait.
Manifestement, Čapek a lu avec attention les travaux de Freud. Il en use pour mettre au point ses énigmes, faire apparaître l’impérialisme de la vérité lorsqu’elle se veut dernier mot, jugement. On rit, on s’amuse mais l’angoisse n’est jamais loin : les personnages de Čapek prennent à la lettre des bouts de savoir. Ils construisent des logiques mortifères y compris lorsqu’au nom de la découverte freudienne ils font de l’inconscient un lieu de dissimulation et de mensonge. Tel est pris qui croyait prendre ! Le juge d’instruction Mates a une théorie : l’homme est un menteur. Si on laisse parler l’inculpé, c’est souvent par inadvertance qu’il dit LA vérité. Mates introduit dans la déposition la valeur du lapsus pour vérifier l’aveu. Il traque le bégaiement, la gaffe.
Dans sa vie conjugale, il poursuit cette passion qui fait de lui un enragé. Il piste sa femme, la surveille, la soumet chaque jour à des contre-interrogatoires non directifs et subtils, dans l’espoir de vérifier si la « chère Marta » est amoureuse ou non du jeune Arthur rencontré en cure. Une jalousie qui l’entraîne sur des voies périlleuses, pour autant que la méthode utilisée fait sans cesse exister l’ennemi, à son image… Je vous laisse découvrir la ruse mise en scène par Čapek pour permettre à Marta de poursuivre ses amours clandestines. Quand le regard est trop présent, ce n’est pas la vérité qui soulage, mais la lettre lapsus : le mari reçoit, par erreur, une lettre de sa femme adressée au beau jeune homme. « Pauvre Marta, en conclut notre juge, comme je t’ai fait souffrir avec ma jalousie ! Tu t’inquiétais pour moi et tu en parles à notre
ami… »
Le délire quant à lui reste bien en place : Mates rassuré, est désormais certain « que la preuve indubitable peut être le fruit du hasard ». Marta ce jour-là, de nouveau en cure, avait écrit à son mari et à Arthur mais s’était trompé d’enveloppes. Enfin…
ISBN : 9782373850802
ISBN ebook : 9782373850932
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, République tchèque
Période : XXe siècle
Pages : 512
Parution : 24 mai 2018