De ce côte-ci de la mer
Gianmaria Testa
Préface d'Erri De Luca • Traduction de Danièle Valin
Erri De Luca dit de lui qu’il chante même quand il parle. À lire De ce côté-ci de la mer, on sait désormais que Gianmaria Testa chante aussi quand il écrit. Pour la première fois, il ose le récit, une prose légère, des histoires qui répondent à ses chansons et réenchantent la vie. Mais l’homme du Piémont embrasse avant tout la Méditerranée, cette mer où depuis trop longtemps dérive et se meurt notre humanité. Le voici en compagnie d’hommes, de femmes, « oiseaux migrateurs » d’un genre très contemporain, contraints à l’exil, l’abandon, la mort. Pour eux, le chanteur réinvente des moments de dignité. Voix grave enroulée de tendresse, il chante et écrit l’espoir, et nous invite à l’imaginer avec lui.
Fils de paysans du Piémont, Gianmaria Testa est né en 1958. Chef de gare à Cuneo, il compose la nuit des chansons. Très vite, il est accueilli en France, est invité dans des festivals, des salles prestigieuses (New Morning, Olympia, etc) avant de connaître le succès en Italie. Les tournées à l’étranger s’enchaînent (Allemagne, États-Unis, Canada…). Lors de ses concerts, entre deux chansons, l’auteur-compositeur-interprète prend plaisir à raconter une petite histoire ou lit sans avoir rencontré l’auteur un texte d’Erri De Luca. Les deux font enfin connaissance, édifient une solide amitié et créent le « non spectacle » Quichotte et les Invincibles, une déclaration de résistance. Partagé entre ses deux professions, Gianmaria Testa décide à la cinquantaine de quitter les chemins de fer italiens. Il est mort en 2016, d’une tumeur au cerveau fulgurante.
Discographie :
Chisciotte e gli invincibili (Quichotte et les Invincibles), écrit par Erri De Luca, spectacle musical mis en scène par Gabriele Mirabassi, avec Erri De Luca, DVD Gallimard.
Eric Belloc, Le Figaro littéraire
Oiseaux migrateurs
Cheminot et chanteur, issu d'un Piémont où l'on chantait Bella Ciao, auteur de huit disques qui l'ont fait comparer à un Brassens transalpin, Gianmaria Testa est mort en 2016. Quelques mois plus tôt, alors qu'il se sait condamné, il reprend les titres de Da questa parte del mare, album consacré au thème des migrations. Ces textes engagés – « En l'espace de deux générations, les Italiens ont oublié que c'était eux qui, jadis, partaient à l'étranger » –, il les intercale de courts récits qui évoquent les circonstances de leur écriture. On y croise Erri De Luca, qui signe la préface et avec qui il avait partagé en 2008 la scène pour un mémorable Quichotte et les Invincibles. On y retrouve Jean-Claude Izzo, qui a écrit pour lui La Plage du Prophète. Des amis qui partagent une même foi dans le pouvoir de résistance des mots. Ceux de Testa font revivre les émotions de l'enfant des années 1960 découvrant « le goût du fer » de Turin ou interrogent les réactions de l'adulte coincé à un feu rouge face à un laveur de pare-brise. Le sentiment d'intrusion dans ce qu'il considère comme son territoire. Parabole qui réinvente la nécessité du partage, insuffisant à réparer l'injustice mais à même d'ébranler notre indifférence de nantis. Du côté des malmenés, des déracinés, des « oiseaux migrateurs », la voix du cantautore invente pour eux des moments de dignité.
Aliette Armel, La vie en livres, L'Obs
Erri de Luca est un des plus grands écrivains du moment. Gianmaria Testa est un chanteur tout aussi engagé que son ami pour la cause des exclus et des migrants. Ni l’un ni l’autre n’ont oublié d’où ils viennent. L’un, le napolitain, a passé ses jeunes années à l’usine et dans les combats ouvriers de Lotta Continua, l’autre, le piémontais, « enfant, a pu encore apprendre à semer le blé à la main » auprès de parents paysans et il a été vingt-cinq ans chef de gare.
En 2019, leurs livres écrits au « je » - mais pour parler beaucoup des autres - traduits par Danièle Valin, paraissent en France, l’un (celui de Gianmaria Testa) préfacé par l’autre : Erri de Luca rend ainsi hommage à l’ami disparu en 2016. De ce côté-ci de la mer est en effet un recueil posthume de textes et de chansons, écrits au seuil de la mort par Gianmaria Testa pour affirmer, encore et encore, la foi qu’il partage avec Erri de Luca dans l’humanité, dans le pouvoir de la résistance, et dans l’étincelle des mots « qui libèrent de l’enthousiasme quand on trouve les bons ».
Les mots de Gianmaria Testa brillent de cette parfaite justesse. Ils provoquent l’émotion par l’évocation du geste ancestral des semeurs de blé. Ils suscitent l’identification des nantis que nous sommes à la réaction instinctive de protection d’un conducteur de voiture face à « l’intrusion » de mains tendues à travers la vitre de sa portière : celle d’une jeune prostituée noire ou d’un laveur de vitres à un feu rouge. Les chansons de Gianmaria Testa explorent, poétiquement, les grandes questions de notre monde contemporain – comme les drames des migrations – mais aussi les doutes et les réflexions qu’elles suscitent.
Dans le livre proposé par les éditions du Sonneur, les courts textes du chanteur précèdent la transcription de chacun des titres de l’album Da questa parte del mare (De ce côté-ci de la mer, Harmonia mundi, 2006). Ils font revivre les circonstances de leur écriture, les figures et les situations qui ont inspiré ces chants de l’exil, évocateurs de la lutte de ces hommes et de ces femmes meurtris pour ne pas perdre jusqu’à leur nom. Et en creux, se dessine le portrait d’un homme, Gianmaria Testa, alors en quête de sa propre survie, mais qui ne renonce pas à proclamer « Ce que la vie signifie pour » lui, magnifique titre de la collection développée au Sonneur par Martine Laval, qui accompagne, de longue date, le parcours de Gianmaria Testa et d’Erri de Luca.
Chez Gallimard, dans Le Tour de l'oie, Erri de Luca creuse, lui aussi, le thème d’un retour sur ce qui donne sens à sa vie depuis 69 ans : la langue, la lecture, l’écriture, la traduction de la Bible sans jamais croire en un Dieu, l’engagement politique contre l’exploitation de l’homme par l’homme, contre les guerres, contre la destruction de l’environnement, mais aussi l’expérience à la fois étrange et si commune d’habiter son corps comme s’il était « indépendant de soi » et de le pousser au-delà de ses limites dans les travaux ouvriers les plus rudes, la pratique de l’alpinisme et du jeûne. La maladie – un arrêt cardiaque – l’a laissé à la porte de la mort, mais il ne l’a pas franchie. Il poursuit son exploration autobiographique dans un dialogue avec un fils, certes imaginaire, mais dont il décrit l’apparition comme une fugace lumière perçue par son cerveau et la disparition comme une fusion, un retour à l’intérieur de son corps qui ne l’a pas engendré...
Pour les deux amis, Erri et Gianmaria, la porte demeure toujours ouverte, vers le fils que l’un n’a pas eu, vers des regards persistants à traverser un temps que l’autre ne parcourt plus de la même manière. Les mots, la musique, les actes posés au-dessus du vide demeurent. Leurs livres en sont des traces puissantes : découvrez-les !
ISBN : 9782373851694
ISBN ebook : 9782373851809
Collection : Ce que la vie signifie pour moi
Domaine : Italie
Période : XXIe siècle
Pages : 128
Parution : 7 mars 2019