Hollywood, ville mirage
Joseph Kessel
« Hollywood ! On y fabrique, à destination de la terre entière, des songes et du rire, de la passion, de l’effroi et des larmes. On y construit des visages et des sentiments qui servent de mesure, d’idéal ou de drogue à des millions d’êtres humains. Et de nouveaux héros s’y forment chaque année pour l’illusion des foules et des peuples. »
Hollywood, ville mirage est le récit du voyage que Joseph Kessel entreprit en 1936 au sein de l’industrie – en plein essor – du cinéma. Studios, acteurs, scénaristes, producteurs… il pose un regard cru et impitoyable sur les coulisses de cette « usine à mirages ».
Né en Argentine d’un père médecin lituanien et d’une mère russe, Joseph Kessel (1898-1979) entame une double carrière de grand reporter et de romancier à la fin de la Première Guerre mondiale. Élu à l’Académie française en 1962, il publie son chef-d’œuvre romanesque, Les Cavaliers, en 1967.
Les Échos • Isabelle Lesniak
L’industrie du cinéma dans les années 1930 disséquée par le regard acéré de Joseph Kessel.
En 1936, l’année de la publication de La Passante du Sans-Souci, l’écrivain-journaliste Joseph Kessel débarque à Hollywood alors que cet empire des images qui fait rêver la planète est en plein essor. Celui qui deviendra correspondant de guerre et résistant y signe une enquête très personnelle, particulièrement critique, sur l’industrie du film qui représente « le troisième rush vers la fortune de la Californie, après l’or et le pétrole ».
L’actualité de ce texte, paru en 1937 et épuisé depuis plusieurs années, est frappante. Kessel y décrit les rouages d’une industrie vouée à divertir les masses, et notamment le public peu cultivé des petites villes américaines – d’où l’indigence de scénarios obnubilés par la rencontre d’un garçon et d’une fille. Une industrie qui sort 900 films par an ne fait globalement pas dans le chef-d’œuvre… Les fonctions des protagonistes sont décortiquées avec beaucoup d’acuité : producteurs obsédés par la rentabilité, agents hyperactifs, acteurs dont la naissance et le culte sont soigneusement organisés par les studios avec lesquels ils sont sous contrat, enfants-stars qui alimentent le système. Si le formidable témoin qu’est Kessel porte un constat si dur, ce n’est « ni par mépris ni par haine mais par amour déçu ».
« Sous ses apparences de calme, de loisir, sous sa carapace de luxe, Hollywood est pareille aux villes minières, aux agglomérations de hauts-fourneaux qui se vident de l’aube au crépuscule pour envoyer leur population aux galeries ou à la chaîne. Hollywood fabrique des images parlantes comme Ford sort des automobiles. »
Jacques Demange • Ciné Chronicle
Publié en 1936, ce récit de Joseph Kessel entrelace registres et perspectives pour proposer un panorama inédit sur l’âge d’or d’Hollywood. C’est de l’autre côté du miroir qu’écrit le romancier français, franchissant les murailles de l’usine à rêves pour découvrir un curieux univers aux contours incertains. Car la grande valeur de cet ouvrage est justement de proposer un regard extérieur à ce système si souvent commenté par ceux qui contribuèrent à le façonner. Un peu à la manière dont le britannique Reyner Banham décrira le Los Angeles de la fin des années 1960 (Los Angeles : The Architecture of Four Ecologies, paru en 1971), Kessel est un étranger à la fois médusé par le paysage californien et terriblement lucide face au spectacle industriel d’Hollywood. Non sans humour, l’auteur décrit cette « ville enchantée » comme un mirage alimenté par l’imaginaire terriblement conditionné des puissants moguls. Une certaine mélancolie apparaît au moment de la découverte de cette imposture, mais très vite c’est le pittoresque qui l’emporte. Les portraits dressés par Kessel associent poésie et mordant, la beauté évanescente de l’image en mouvement accompagnant l’inévitable retour aux lois du marché (le fameux adage « Boy meets girl »). Il serait pourtant réducteur de décrire l’attitude du romancier comme étant désabusée. Kessel demeure captivé par l’édification de cette nouvelle Histoire de l’art et des hommes qui semble par bien des manières retrouver certains aspects des civilisations antiques. Les producteurs sont semblables à des empereurs romains, tandis que les rachats de contrats des stars ne sont pas sans rappeler l’organisation d’un marché aux esclaves. L’Olympe hollywoodien est la demeure des nouvelles Galatée de l’écran. Avec une précision journalistique, l’ouvrage s’attarde sur certaines grandes figures de cet univers : Walter Wanger, Charles Boyer, Anatole Litvak ou encore Irving Thalberg dont la figure convoque à la fois la dignité aristocratique du Roi Soleil et la dureté impériale de Napoléon. Et puis ce sont les mœurs (étonnamment tranquilles) et les grandes valeurs (pas celles qu’on pourrait croire de prime abord) qui s’imposent au regard de Kessel. Là encore, la posture distanciée de l’auteur fait le prix de ses différentes réflexions. Comment alors souligner la singularité de cet ouvrage ? Il semble que l’écriture de Kessel tienne d’une volonté de décrire une atmosphère plutôt qu’un lieu en particulier. Atmosphère d’une époque sans doute, mais tout aussi bien atmosphère d’un rêve éveillé, de ce curieux mélange d’imaginaire et de réel qui continue de caractériser dans l’esprit des cinéphiles et des autres la Mecque du cinéma.
ISBN : 9782373852042
ISBN ebook : 9782373852202
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature française
Période : XXe siècle
Pages : 128
Parution : 4 juin 2020