Incognita Incognita ou le plaisir de trouver ce qu’on ne cherchait pas
Mark Forsyth
Préface de Paul Vacca • Traduction de Marie-Noël Rio
« Les meilleures choses sont celles que vous n’auriez jamais su vouloir jusqu’à ce que vous les ayez. Internet prend vos désirs et vous les recrache, consommés. Vous lancez une recherche, vous entrez les mots que vous connaissez, les choses que vous avez déjà à l’esprit, et Internet vous sort un livre, une image ou une notice Wikipédia. Mais c’est tout. C’est ailleurs qu’il faut chercher ce qu’on ne sait pas ne pas savoir. »
Incognita incognita ou l’éloge du hasard, de la chance, de l’inconnu – et de la librairie !
Le Préfet maritime • L’Alamblog
Façon stand-up, l’étymologiste anglais Mark Forsyth se fait humoriste lorsqu’il s’agit de nous dire combien les livres le comblent.
Il y a la bière de son pub, aussi, car il est britannique, mais les livres font sa joie et il a éprouvé le besoin de nous le dire à bâtons-rompus. Sur le ton d’une conversation primesautière, il évoque dans un petit texte ses aventures en librairie, ses fantasmes de librairie, et, pour tout dire, sa joie de s’ébattre comme un jeune marsouin au milieu des bouquins.
Comme chaque génération peut en faire l’expérience (1), Forsyth redécouvre ce que savaient les grands anciens : on n’a pas fini de se faire plaisir (2) et il y a toujours un livre qu’on ignore quelque part pour nous (3).
Savoir que l’on ne sait pas, voilà un très bon premier pas vers la sagesse. Les bibliographes connaissent très tôt cette sensation, pardon, cette certitude – qui vient apparemment très tard aux politiciens et aux hauts-fonctionnaires. Les femmes et hommes de la bibliothéconomie connaissent par ailleurs une loi très simple qu’il nous plaît de proposer à notre Anglais bibliophage. Elle permet de conclure :
1. que tout livre parvient à son lecteur (si la vie lui est assez longue, naturlich) ;
2. et qu’un grand texte ne reste jamais longtemps ignoré.
Cette loi a un nom, et elle recouvre une large partie de ce que nous raconte Mark Forsyth : c’est la loi du « bon voisin ».
Comme M. Prudhomme, vous l’avez vous-mêmes éprouvée lorsque, plumeau à la main, vous faisiez mine de dépoussiérer votre bibliothèque. (Ne niez pas… Le mensonge est ici particulièrement inutile.). Puis vous l’avez éprouvée à nouveau lorsqu’en cherchant, chez vous ou ailleurs, telle édition, vous avez renoncé à la dernière minute parce qu’un autre volume vous a fait les yeux doux… Une fois encore, il n’est pas utile de nier, d’autant que cela vous est arrivé maintes fois – c’est une loi aussi efficace, voire plus, que celle de Murphy.
Idem en bibliothèque, pareillement en librairie. Et l’on ne parle pas des puces, le pire pousse-au-plaisir qui soit… (4)
De là à faire de la bibliomancie une façon de guider sa vie… Laissons à Mark Forsyth ses plaisirs et ses amusements et réjouissons-nous que la curiosité soit le moteur qui nous meut.
Rendons grâce enfin à la vie qui, toujours, nous réserve un livre délectable. Et c’est justement ce que loue au fond Mark Forsyth. Nous lui offrons, par ce que le bon voisin surgit toujours au cours d’une quête, celle du bibliophile Christian (5) :
La Quête
Les librairies sont des boutiques à surprises
où l’âme papillonne, aise entre un choix précieux
de livres inconnus, de livres prestigieux
dès longtemps convoités et quêtés comme prises.
Sais-je le grave émoi d’ambuler silencieux
emmy le demi-jour des coins aux ombres grises
où s’étagent les vieux bouquins jusques aux frises,
où la trouvaille enfouie échappe à mes yeux.
La sais-je cette joie de fouiller dans les coins,
de scruter ce désert nombreux, comme un bédouin,
avec désir anxieux, avec hâte fébrile !
Ah ! le sais-je le cri contenu ! quand ma main,
heureuse en sa quête a saisi l’aubaine utile
avidement serrée contre ce cœur serein.
(1) Ce fut le cas récemment avec la « sérendipité » redécouverte avec son principe original mêlé de hasard et d’une logique singulière, ou la « dystopie » réveillant d’un vocable techno la contre-utopie.
(2) « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. » C’est ce génie de Jules Renard qui le disait à son journal le 23 juin 1902.
(3) C’est à la fois rassurant est parfaitement naturel : songez au nombre des seuls romans publiés chaque année à travers le monde…
(4) Qu’on en connaît de ces chasseurs qui affichent la photo de leurs prises dès le samedi ou le dimanche soir…
(5) Christian (1895-1969) Un pérégrin dans l’ombre. T. I. Propitiation, Saint-Raphaël, Les Tablettes, 1917.
Pour l’article sur le site de l’Alamblog, c’est ici.
Paul Vacca • Huffington Post
Osons la question : à quoi peut bien servir une librairie aujourd’hui ? A priori, à rien. Vous êtes pris d’une envie de livre ? Un simple clic sur Internet peut la satisfaire : sous 24 heures, il est dans votre boîte aux lettres. Mieux, vous pouvez l’avoir immédiatement en version numérique. Mieux encore, étendu dans votre canapé vous pouvez demander à votre assistant personnel – Alexa, Watson ou Siri… – de se charger de l’achat. Mieux encore, il peut vous conseiller votre prochaine lecture. Mieux encore, la machine peut même vous en faire la lecture…
La bibliothèque de la planète entière au bout de votre doigt ou à portée de voix. Sans bouger de votre canapé.
Le rêve…
Sauf que ce rêve ce n’est pas le vôtre. C’est celui de Jeff Bezos.
Et c’est un leurre. Ce choix infini n’est qu’un mirage. En réalité, depuis notre canapé, armé de notre ordinateur, l’espace se rétrécit toujours plus. L’algorithme de la machine se met au diapason de ce que nous avons appelé ailleurs notre « algorithme intérieur », cette force paresseuse qui nous pousse devant un buffet aux mille et une victuailles à toujours se diriger vers les mêmes plats, dupliquer les mêmes goûts.
C’est un petit livre, Incognita incognita, de Mark Forsyth qui nous révèle à quoi peut servir une librairie dans un tel contexte.
ISBN : 9782373851786
Collection : La Petite Collection
Domaine : Littérature étrangère, Royaume-Unis
Période : XXIe siècle
Pages : 48
Parution : 9 mai 2019