L’Autre Moitié du monde

Le Monde • Stéphanie Dupays

Brutale Espagne des années 1930
Depuis son château dominant le delta de l’Èbre, dans le sud de la Catalogne, la cruelle Marquise exploite d’une main de fer la communauté paysanne. Parmi les villageois humiliés et offensés, Pilar, cuisinière au service de cette marquise, est violentée par le fils de celle-ci tandis que son mari se tue à la tâche dans les rizières.
Leur fille, une gamine intrépide, s’éveille à la vie et découvre dans le même temps la beauté d’une nature sauvage et la brutalité de sa condition : « Très tôt Toya a compris une chose : si elle veut survivre, il lui faudra être forte, sinon extrêmement rusée. Ils sont du poisson dans un monde d’échas­siers. » Autour d’elle, dans cette Espagne des années 1930, la révolte s’organise, attisée par l’instituteur Horacio et l’avocat José, et Toya fait son éducation sentimentale et politique.
À travers L’Autre Moitié du monde, son troisième roman, Laurine Roux dessine le magnifique portrait d’une jeune fille cruellement bousculée par la vie et qui devient une femme libre, malgré tout. Sensuelle, la langue de l’autrice ancre chacun des êtres dans leur vie physique et dans la nature qui les environnent : les corps, comme la terre et l’eau du delta, sont présents à chaque page. Une plume aussi habile pour saisir les frémissements intimes que les soubresauts des luttes sociales.

L’Express • Delphine Peras

Donner la vedette à de modestes individus pour incarner une épopée collective et historique : Laurine Roux s’y emploie avec brio dans ce troisième roman à la fois solaire et sanglant, qui met en lumière les prémices de la guerre civile espagnole. Au début des années 1930, dans le delta de l’Èbre, au sud de la Catalogne, des paysans s’échinent à cultiver, « le dos cassé » et pour un salaire de misère, les rizières de la riche famille Ibañez. Laquelle est composée de la tyrannique marquise doña Serena, de son militaire de mari, ainsi que de leur fils Carlos, un « monstre » qui affame ses dogues pour mieux les dresser, et abuse du droit de cuissage. La belle Pilar, cuisinière au château des Ibañez, n’y échappe pas, mais tait les viols et préfère s’en remettre à la faiseuse d’anges. Elle veut préserver son foyer et surtout sa fille Toya, « petite sauvage » de 12 ans, qui connaît les marais comme sa poche.
Lorsque débarque de Barcelone le pâle Horacio, instituteur, la gamine illettrée se laisse peu à peu apprivoiser. Et c’est tout le village qui se montre réceptif aux idéaux révolutionnaires du jeune homme. D’autant que parvient l’écho d’un soulèvement dans les provinces alentour, réprimé par un certain général Franco, à la solde des monarchistes et de l’Église… Après Une immense sensation de calme, puis le très réussi Sanctuaire (qui vient de reparaître en Folio), Laurine Roux confirme son talent de conteuse. De sa plume pétrie de sensualité et de poésie, elle signe là un roman à deux temps, qui dit la solidarité des plus miséreux, l’espoir chevillé au corps.