Le Gouffre
Frank Norris
Traduit de l'anglais (États-Unis) par M.-B. de Gramont, traduction révisée par l'éditeur
Au tournant du vingtième siècle, Chicago est la plaque tournante du commerce mondial, la première place d’échanges des matières premières et notamment des céréales, gigantesque marché où se fait et se défait la prospérité des hommes et des nations. Avec Le Gouffre, roman ambitieux, Frank Norris (1870-1902), chantre du réalisme littéraire américain, nous entraîne dans l’une des premières spéculations boursières modernes, qui bouleversa les structures économiques de l’époque.
Curtis Jadwin est un financier réputé, l’un des plus riches de Chicago, reconnu pour sa générosité et sa grande prudence dans la gestion de ses affaires. Il s’éprend d’une jeune fille de bonne famille, tout juste arrivée en ville, qu’il épouse après une cour assidue. Aspirant à profiter en paix de sa fortune, il saisit pourtant l’occasion d’une dernière spéculation, d’un dernier « coup » sur le marché du blé. Fatale décision, terrible engrenage qui l’oblige à une poursuite sans fin du profit, fragilisant sa fortune et son mariage.
À l’égal de La Jungle d’Upton Sinclair, Le Gouffre est une cruelle plongée dans le Chicago de 1900 et l’une des premières dénonciations des dangers d’un monde financier où le jeu et l’appât du gain priment sur la raison et la pondération, faisant naître de douloureuses résonances avec l’état de notre monde en ce début de vingt et unième siècle.
Frank Norris (1870-1902), influencé par l’œuvre d’Émile Zola qu’il découvre lors de son séjour à Paris, est l’un des premiers écrivains naturalistes américains. Dans sa trilogie composée de Octopus (1901), Le Gouffre (1903) et Wolf (resté inachevé), l’écrivain dénonce la brutalité de l’économie sur les hommes.
Christian Chavagneux, Alternatives économiques
Lorsqu’on souhaite comprendre les ressorts de la spéculation financière sans tomber dans la technique économique, L’Argent, le célèbre roman d’Émile Zola, s’impose comme une référence incontournable. On y voit le rôle de la psychologie des acteurs, celui des fraudes, de la mauvaise gouvernance des banques, le rôle des cycles de crises financières, etc.
Il faudra désormais y ajouter le magnifique livre de l’écrivain américain Frank Norris, publié en 1903 et qui vient — enfin ! — d’être traduit en français. Il y raconte les amours de Laura Dearborn et Curtis Jadwin, un spéculateur enrichi mais assagi, qui a décidé de vivre le restant de sa vie de manière paisible. Malheureusement, l’attrait du jeu le pousse à spéculer une dernière fois.
Il tente un coup très en vogue à la fin du dix-neuvième siècle, un corner. Le principe en est simple : anticipant une forte demande de blé, Jadwin en achète à l’avance le plus possible pour pouvoir maîtriser le marché et fixer son prix lorsque la demande se matérialisera effectivement. Problème : plus la spéculation avance, plus la demande importante du spéculateur tire les prix vers le haut, et plus le jeu devient coûteux. Il ne faut donc pas se tromper, car les risques sont énormes. Frank Norris décrit avec une grande justesse les mécanismes et l’excitation de la spéculation, comme lorsque Jadwin explique que « c’est un jeu de riches. Il ne procure aucun plaisir si tu ne peux pas risquer plus que tu ne peux te permettre de perdre ! »
Aux qualités littéraires du roman de Frank Norris et à la finesse de sa description d’une spéculation sur le marché de Chicago, s’ajoute également une forme de prémonition. Car l’élément déclencheur de la panique financière qui va toucher les États-Unis quatre ans plus tard, lors de la célèbre crise de 1907, sera un autre corner, loupé cette fois, sur les actions d’une entreprise de production de cuivre !
Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, on peut prolonger le plaisir avec la republication d’un autre roman de Norris, Les Rapaces, qui décrit minutieusement la façon dont plusieurs personnages voient leur vie broyée par leur quête éperdue d’argent. On est envoûté par ce livre, qui comporte plusieurs scènes fascinantes et un final magnifique. Bref, il faut absolument lire Frank Norris !
François Eychart, Les Lettres françaises
De Frank Norris paraissent deux romans importants, Le Gouffre, dans une traduction révisée par l’éditeur, et Les Rapaces [aux éditions Agone], précédé d’une substancielle introduction. […] Norris avait la particularité de nourrir un très fort intérêt pour les passions et les pulsions qu’il repérait dans tous les milieux de la société. […] Le Gouffre prend pour cible la spéculation financière. Le blé est un moyen par lequel certains s’enrichissent astronomiquement. Dans sa description des opérations, Norris montre en détail le capitalisme financier au travail. Les spéculateurs se livrent une guerre furieuse dans laquelle le goût de vaincre à tout prix devient un élément incontrôlable qui les domine complètement. Les deux romans ont donc un point commun important, celui de montrer les ravages provoqués par des pulsions que rien ne peut contenir. Elles sont comme un condensé de la dangerosité de la société américaine.
ISBN : 9782916136516
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, États-unis
Période : XIXe siècle
Pages : 384
Parution : 15 mai 2012