Le Patron
Maxime Gorki
Traduit du russe par Serge Persky, traduction révisée par l’éditeur
Alors qu’il mène une vie misérable, vagabondant à la recherche d’emplois pour gagner son pain, un jeune homme est embauché dans une biscuiterie de la ville de Kazan, dont les ouvriers vivent sous la coupe de Vassili Séménoff, patron irascible et brutal. Récit autobiographique, Le Patron est le souvenir d’un hiver passé aux ordres d’un despote, de la rencontre de deux hommes qui jamais ne pourront se comprendre, de la confrontation de deux mondes. Ces quelques mois partagés avec des ouvriers tyrannisés par un employeur alcoolique seront déterminants pour Maxime Gorki, qui deviendra l’un des pionniers de la littérature sociale soviétique.
Alekseï Maksimovitch Pechkov (1868-1936), élevé dans la pauvreté, exerça de nombreux petits métiers avant de se consacrer, à partir des années 1890, à l’écriture sous le pseudonyme de Gorki, l’« amer ». Romancier des vagabonds et des déclassés, ses idées révolutionnaires le conduisirent en prison, puis à l’exil à diverses reprises. Auteur de romans (dont le plus connu est La Mère), de contes, de nouvelles et de pièces de théâtre (dont Les Bas-Fonds, adapté au cinéma par Jean Renoir et Akira Kurosawa), il s’éteignit en URSS, qu’il avait regagnée en 1929.
Les Lettres françaises
Le Patron est une page de la jeunesse de l’auteur, narrateur du récit, alors qu’adolescent encore, misérable et solitaire, il parcourait la Russie en faisant les métiers les plus rudes pour gagner son pain. Vassili Séménof, illettré, alcoolique et débauché, qui s’est emparé par le meurtre de la boulangerie de Kazan où il fut ouvrier, l’embauche pour l’hiver. Les employés mènent une vie bestiale, « écrasée et confuse », dans la crasse de l’atelier dont le narrateur décrit l’enfer en détail. Entre le patron qui ne connaît que la brutalité, les ouvriers prisonniers de la peur et de la fatalité, et le jeune homme qui croit au pouvoir libérateur du savoir contre « la force victorieuse de l’horreur quotidienne », se noue un rapport complexe fait d’attirance et de répulsion.
Loin du peuple, il y a le pouvoir absolu : « toute la terre est à Dieu, toute la Russie est au tsar ». Ils sont sourds tous les deux. Le tsar écrase dans le sang la moindre velléité de liberté et Dieu laisse crever ses créatures. Ils sont sourds aux prières, mais sourds aussi à la puissance du peuple qui balaiera bientôt Église et souverain.
La Russie, c’est le peuple russe. L’immense peuple russe, la masse innombrable des ouvriers illettrés, et parmi eux les paysans déracinés s’entassant dans l’abjecte misère des villes, underdogs puants, mal nourris, ivrognes, résignés, dociles à toutes les superstitions. Quelque chose entre l’homme et l’animal : Gorki les nomme souvent de noms de bêtes.
Sous l’œil aigu de Gorki chacun prend figure et dimension humaines. Tous, même les plus repoussants, sont nos semblables. Empathie, compassion, sans la moindre mièvrerie sentimentale. À la fin du Patron, le narrateur, maltraité tout un hiver par Vassili Séménof, dit de lui : « Je le plains à en souffrir, quel qu’il soit, je regrette la force qui périt sans porter de fruit, et cet homme-là fait naître en moi un sentiment passionné et contradictoire, comparable à celui qu’une mère éprouve pour son enfant : il faudrait le punir et on a envie de le caresser. »
ISBN : 9782916136301
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature étrangère, russe
Période : XXe siècle
Pages : 192
Parution : 28 octobre 2010