Le Sanctuaire
Laurine Roux
Texte publié sous la direction de Marc Villemain.
Grand Prix de l'Imaginaire 2021
Le Sanctuaire : une zone montagneuse et isolée, dans laquelle une famille s’est réfugiée pour échapper à un virus transmis par les oiseaux et qui aurait balayé la quasi-totalité des humains. Le père y fait régner sa loi, chaque jour plus brutal et imprévisible.
Munie de son arc qui fait d’elle une chasseuse hors pair, Gemma, la plus jeune des deux filles, va peu à peu transgresser les limites du lieu. Mais ce sera pour tomber entre d’autres griffes : celles d’un vieil homme sauvage et menaçant, qui vit entouré de rapaces. Parmi eux, un aigle qui va fasciner l’enfant…
Dans Le Sanctuaire, ode à la nature souveraine, Laurine Roux confirme la singularité et l’universalité de sa voix.
Libération • Frédérique Roussel
Dans un monde a priori postapocalyptique, une famille a trouvé refuge depuis des années dans la montagne, à l’abri de falaises. Gemma, la narratrice, est la fille la plus jeune des deux, qui n’a pas connu le monde d’avant, qui est née dans le « Sanctuaire ». June l’aînée allait à l’école, à des anniversaires, avait des jouets. Elle habitait avec ses parents dans une maison sur pilotis. Papa était un sculpteur célèbre un peu iconoclaste, maman écrivait des romans. On ne saura pas précisément ce qui est arrivé, si ce n’est qu’il y a eu une pandémie. Gemma dit : « Aucun d’eux n’a dû survivre. […] Comme si le monde avait été éteint en quelques jours, balayé par une plume. » C’est moins les causes qui intéressent l’autrice que les conséquences : le retrait d’une société, l’existence quotidienne dans une nature sauvage et belle.
La cellule familiale survit donc en autarcie, le père étant le seul à quitter régulièrement les lieux pour trouver et ramener de quoi survivre. La mère et les deux sœurs en revanche ne doivent pas quitter ce territoire protégé, sous peine d’essuyer sa fureur. On suit les actions et pensées de Gemma. Aguerrie par les entraînements physiques du père, éducateur impitoyable, elle sait tuer un cerf du premier coup avec son arc. Les oiseaux abattus sans pitié sont ensuite brûlés, car considérés comme des vecteurs de contamination. La mère de son côté agit comme un baume de tendresse. Elle incarne aussi la mémoire du passé, ressassant avec nostalgie des gestes, des objets et des instants d’avant leur confinement… « Dans les histoires de Maman je peux m’asseoir à la terrasse d’un bar et commander un sirop. Je bois avec une paille. La cassonade caramélise ma langue. »
Ce huis clos fait penser à Sukkwan Island de David Vann, dans lequel un père emmène son fils de 13 ans sur une île isolée, couverte de forêts et de montagnes escarpées pour y vivre un an. L’expérience se terminera tragiquement. Dans Le Sanctuaire, le paradis se fendille également, comme la soi-disant vérité. Il suffit d’un grain de sable, un fantôme et son aigle, pour qu’une forme de folie prenne le dessus.
L’Humanité • Jean-Claude Lebrun
Un isolement pas innocent
On est d’emblée intrigué et saisi par la tonalité de ce récit à la première personne. Une fille parle de son père, qui se prépare à « descendre dans les vallées, dégoter une ou deux carcasses de voiture à siphonner ». Elle évoque en même temps l’isolement et l’autarcie, la présence d’une mère et d’une sœur aînée. La famille est en effet montée se réfugier sur une montagne lointaine depuis qu’un mal s’est répandu dans les plaines. Aucun autre humain n’en aurait réchappé. Le livre fut écrit en 2019, bien avant l’actuelle pandémie. Mais les analogies sont frappantes. Même si c’est un autre sujet, non moins grave, qui peu à peu se dévoile et s’impose.
Après Une immense sensation de calme, son premier roman, paru en 2018, Laurine Roux confirme la singularité de son inspiration. Sans compter une stupéfiante capacité prémonitoire : la maladie qui avait entraîné l’apparente extinction de l’humanité avait été apportée par des oiseaux. Pour se protéger, la famille rescapée n’a d’autre solution que d’abattre tout volatile qui s’approche, avant de brûler son cadavre au lance-flammes. Le père commande les manœuvres de protection du sanctuaire et impose à ses filles un rigoureux entraînement. C’est lui également qui effectue des descentes dans le monde d’avant pour en donner des nouvelles et rapporter ce qui est utile à la survie. Jusqu’à ce que la narratrice s’aventure elle-même au-delà du périmètre protecteur… Le roman prend alors une tournure plus captivante encore, laissant entrevoir un autre mal à l’œuvre, dans la claustration de la famille. Et renvoyant au père tant admiré par la narratrice. À la véracité de ses récits, à son emprise. Un masque tombe, une inhibition bientôt s’achèvera, dans une détonation libératrice. Laurine Roux conduit magistralement sa fable, élevant ses quatre figures plantées dans une nature grandiose au rang de vivantes allégories des fragilités de l’humain. Avec ses aveuglements, ses aliénations et ses possibles dérives. Comme avec ses curiosités, ses désirs d’aventure et de transgression, ses angoisses et finalement ses résistances. Celle qui déclarait « Du monde, je sais seulement ce que Papa et Maman m’ont raconté » fait maintenant la découverte de la complexité et de l’inquiétude. Elle est prête à redescendre vers les plaines et leurs difficultés. Puissance de l’inspiration, vigueur de la langue, richesse du sens : Le Sanctuaire apporte l’indiscutable confirmation d’un talent de romancière.
ISBN : 9782373852158
ISBN ebook : 9782373852165
Collection : La Grande Collection
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 160
Parution : 13 août 2020