Qui suis-je pour juger l’autre ?
Serge Portelli
Qui peut bien avoir la légitimité de juger de la vie d’un homme ? Le magistrat Serge Portelli tente de répondre à cette question en entrelaçant ses expériences, ses rencontres et ses convictions. D’une écriture tout en élégance et teintée d’humour, il raconte son métier de juge, ses colères et ses espoirs, à travers le portrait de ceux dont il a croisé le chemin – victimes ou agresseurs. Qui suis-je pour juger l’autre ? ou l’art de ne jamais se résigner, de rejeter la fatalité et de croire, toujours, en la dignité.
Serge Portelli est né en 1950 en Algérie. Magistrat honoraire depuis 2018, il est expert pour le compte de l’Union européenne en matière d’aide aux victimes et dirige, dans ce cadre, diverses formations en Algérie.
Entré dans la magistrature en 1972, il a exercé successivement ses fonctions à Melun, Créteil, Paris puis Versailles. Il a été juge d’instruction et traitait aussi bien les affaires de mineurs que des affaires économiques et financières.
Membre du Syndicat de la Magistrature, du conseil d’administration de plusieurs associations humanitaires et du conseil scientifique de l’Institut français pour la Justice restaurative, il a également enseigné.
Il est invité régulièrement par les médias sur les sujets concernant la justice ou la politique.
Bibliographie sélective :
>> Traité de démagogie appliquée, Sarkozy, la récidive et nous, Michalon, 2006
>> Récidivistes, Chronique de l’humanité ordinaire, Grasset, 2008
>> Le Sarkozysme sans Sarkozy, Grasset, 2009
>> Pourquoi la torture, Vrin, 2010
>> Juger, L’Atelier, 2011
>> Désirs de famille, avec Clélia Richard, L’Atelier, 2012
>> La Vie après la peine, avec Marine Chanel, Grasset, 2014
>> La Torture, Dalloz, 2017
>> L’Homoparentalité, Dalloz, 2018
>> Les Droits des victimes, Dalloz, à paraître en juin 2019
Le Canard enchaîné • Dominique Simonnot
La taule, c'est pas son truc !
Évidemment, après quarante ans de carrière en robe noire ou rouge, la question peut surprendre ! On se dit : « Eh bien, mon gars, tu aurais pu te le demander avant ! » Certes. Mais ceux qui ont vu à l'œuvre le juge Portelli savent que, cette interrogation existentielle, il se l'est toujours posée. La blague courait même le milieu judiciaire : « Quand t'es jugé par lui, tu ressors en général avec la Légion d'honneur ! » Bon, c'est marrant… Portelli a « éclaté de rire » quand la décoration lui a été proposée, et il fut un juge – comme beaucoup d'autres, mais trop peu d'autres – qui n'aimait vraiment pas expédier les «éclopés de la vie » en prison.
Parmi ses collègues, il n'a pas toujours eu la cote. Trop médiatique, sans doute, « bon client » de la télé, renvoyant une image trop critique de la justice. Et, s'il faut parler au passé de son métier de juge, c'est que Portelli est désormais avocat.
Aussi ce livre n'est-il pas seulement une déclaration d'intention mais une invitation faite aux magistrats à peser les conséquences de leurs jugements. Aucune leçon de morale, mais un court récit en forme de promenade à travers des histoires qui ont marqué sa carrière. Le « choc inouï » de rencontres avec des victimes. Et des prévenus ou accusés. Ces trois enfants qui ont sauvagement tué, et dont il a surveillé le parcours des années durant, voulant s'assurer, se rassurer, sur la suite de leur vie. Et cet amendement, dit « Ginette » qu'il a rédigé en mémoire d'une femme massacrée par une autre et qui prévoit, pour mieux comprendre un crime, une enquête de personnalité sur la victime, ce qui n'existait pas avant. Sa répugnance affichée des cellules, il l'explique: « On peut les visiter cent fois » sans savoir jamais ce qu'elles sont vraiment, « faute d'y avoir vécu, parmi l'ennui, les cafards, les poux, les rats, dans l'accablement »…
Prêt à le plaider !
Philippe Jean-Catinchi • Le Monde
Un juge humaniste raconte.
C’est à Constantine, place de la Brèche, devenue depuis la place du 1erNovembre, qu’est né, le 6 mai 1950, Serge Portelli, fameux juge d’instruction, aujourd’hui magistrat honoraire et expert auprès de l’Union européenne. Cette place est un des rares pôles animés d’une ville austère. En face de la maison des Portelli, invisible aux yeux d’un tout jeune enfant, le palais de justice. « Je ne l’avais jamais remarqué », confesse le magistrat, qui le redécouvre lorsqu’il revient en Algérie en 2013, cinquante-huit ans après avoir quitté la terre où il est né.
Évitons les spéculations faciles et tâchons de comprendre ce qui émeut cet homme de loi d’une infatigable énergie. Émouvoir : mettre en mouvement, toucher, troubler. Si la parole de ce magistrat a tant porté – et porte encore –, c’est qu’avant de parler l’homme a su écouter.
C’est en observant le trouble de celles et ceux qui ont été lésés, blessés, spoliés, la difficulté de leur propre expression, qu’il mesure une intensité de la souffrance dont il ignore tout à ce degré. Recueille-t-il scrupuleusement, de la bouche des victimes, les récits d’une violence inouïe, il en est ébranlé : « Je découvris grâce à elles l’extrême douleur et les immenses traumatismes. » Des mots rares, hésitants, qui échappent, par effraction, dans la douleur et la honte, confidences aux allures d’aveux insoutenables.
Toujours motiver ses décisions
Il en tire sa force. En décembre 2006, lors d’un débat télévisé houleux sur la récidive avec Nicolas Sarkozy, candidat à la présidentielle, il éclaire la position du politique par un aphorisme cynique de Voltaire : « Il faut mentir comme un diable, non pas timidement,non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. » Les classiques sont de précieux atouts ; ainsi Montaigne, ce « vieil ami qu’[il] fréquentai[t] depuis l’adolescence et qui ne [l’]a plus jamais quitté », et dont il a appris que « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition ».
Alors lui-même écrit. Rédigeant ses jugements et motivant explicitement ses décisions, contre l’usage. C’est une nécessité, pour établir le cap et le tenir. « Savoir ce qui se passe et comment le monde tourne », affronter le manque de cohérence qui frappe quand le politique parle de justice, avec ou sans recours à l’apport des sciences humaines. Nommé conseiller justice auprès du président de l’Assemblée Raymond Forni, il a « la chance de pouvoir faire passer [s]es idées au plus haut niveau », mais plus encore « la joie de donner un peu plus de sens à tout ce [qu’il] entreprenai[t] ». Expérience brève – sept mois – mais éclairante.
Aujourd’hui en retrait, Serge Portelli observe et commente. Ainsi sur le rappel à l’ordre du ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, par le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, à propos du viol du secret de l’instruction, il écrit : « Exemple merveilleux ou tragique. » Dans ce livre en éclats et fragments, il reste le champion d’une justice à hauteur d’homme.
ISBN : 9782373851885
ISBN ebook : 9782373851946
Collection : Ce que la vie signifie pour moi
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 80
Parution : 5 septembre 2019