Un souffle sauvage
Jérôme Lafargue
Voici l’histoire d’un jeune homme et d’une forêt. Ou bien, voici l’histoire d’un jeune homme et de son père. À moins que ce ne soit l’histoire d’un jeune homme avec lui-même, avec des envies de se libérer, des désirs de s’inventer.
Dans Un souffle sauvage, Jérôme Lafargue, lui si à l’aise avec la fiction, le débridé et même le fantasque, ose pour la première fois se mettre en scène, dire « je ». Il fait le choix du récit, le choix de l’authenticité, de la conviction. Raconter ce que la vie signifie pour lui, c’est nous emmener en sa compagnie sur un chemin des Landes, entre forêt et océan, silence et rugissement. Ici, parmi les arbres, ses presque frères, il arpente son histoire, remonte le temps, cherche les racines, et prend son envol. Il dit les émotions, la solitude, le partage, l’indomptable beauté des espaces sauvages, une sorte de sérénité qu’il porte à fleur de mots. Il nous invite à cheminer dans son paysage littéraire, ses lectures et son travail d’écriture qui palpitent sans cesse en écho, et font de lui un écrivain. Un homme qui regarde le monde… et écrit des histoires.
Jérôme Lafargue est né en 1968 dans les Landes, où il vit. Il publie des romans, des nouvelles, parfois des poèmes, depuis une dizaine d’années. Son premier roman, L’Ami Butler, est un hymne enjoué à la littérature et annonce les suivants, tous portés par une écriture ardente, sensuelle. Jérôme Lafargue y traque l’amour, l’illusion et la mélancolie. À la question « Qu’attendez-vous de la littérature », il répond du tac au tac : « Seulement le plaisir. »
Alain Nicolas, L'Humanité
Jérôme Lafargue, deux autoportraits en miroir.
L’auteur réunit en volume des textes parus sur le Net et revient sur un épisode douloureux. De l’intime au global, double manière de se mettre en mots.
Jérôme Lafargue, qui nous embarque dans ses romans au long cours, comme L’Ami Butler, Dans les ombres sylvestres, ou plus récemment En territoire Auriaba, connaît aussi l’art du cabotage et de ses escales secrètes. En témoignent deux brefs et précieux ouvrages parus ces dernières semaines. Au centuple est né de la volonté de publier sur Facebook, chaque jour, un texte de cent mots, et ceci pendant cent jours. Projet «un tantinet dérisoire», avoue l’auteur. Quelle meilleure raison de faire u n livre ? Entamé le 8 novembre 2015, il s’achève en février 2016, après dix mille mots. Au passage, l’auteur précise que le seul jour où la contrainte n’a pas été respectée est le 14 novembre 2015, ce qui explique, dit-il, le caractère «un peu à part» du sixième texte. Pour le reste, c’est le journal de marche d’une pensée singulière, capricieuse, allant par sauts et gambades.
Ses fables express parlent du monde, de la vie, croquent des situations tendres ou tristes
C’est un peu la loi du genre. En ligne sur des blogs, en feuilleton dans la presse, ces billets sont faits en principe pour être oubliés aussitôt que savourés. Quel qu’en soit le sujet, ils ne parlent que de l’impermanence des choses. Les réunir en recueil les soumet à la rude épreuve de la pérennité. Le disparate est au rendez-vous. Le lecteur aura pourtant tôt fait de repérer des tendances. Ainsi, de nombreuses courtes fictions résonnent étrangement avec les romans de l’auteur. Un rédacteur d’encyclopédies tente de « Cataloguer les pensées secrètes des hommes », et finit mal. Un joyeux luron est écartelé pour avoir tenté de mener contre le roi « une révolte ludique et guillerette ». Un académicien invente le mot « psychomasticoïde » et se fait lyncher par ses confrères. Deux écrivains écrivent sans le savoir les mêmes livres, un duel organisé par leurs éditeurs se solde sur un match nul: leurs balles se télescopent. Un Russe mène exactement la vie de Charles Bukovski, le célèbre écrivain alcoolique américain. Mais il n’écrit pas et personne n’en parle. Qu’on se rassure, il en reste beaucoup, et d’aussi savoureux. Les écrivains sont, on l’aura remarqué, très présents, et l’auteur en joue, imaginant même un dialogue où on le traite de « monomaniaque naicissique ». C’est que les écrivains et artistes réels ne manquent pas : Walser, Mahler, Lévi-Strauss, Boyden, Poe, Hemingway, Lowry, Pessoa, Borges, la plupart du temps évoquées comme en passant, à l’appui d’une réflexion sur la littérature et l’art. Au Centuple n’est pourtant pas refermé sur le monde des mots. Ses fables express parlent du monde, de la vie, croquent des situations tendres et hilarantes, parfois tristes. Jérôme Lafargue parle de la société, du monde qu’il a parcouru et étudié, de son pays, de la forêt landaise, et de lui.
C’est aussi le sujet plus grave du livre qu’il donne dans la collection créée par Martine Laval « Ce que la vie signifie pour moi ». Son père, dépressif chronique, s’enfuit un jour de leur maison, avec son chien et son pistolet. À peine sorti de l’enfance, l’auteur interrompt ce geste qu’il fera, quinze ans plus tard. Jérôme Lafargue donne avec Un souffle sauvage un livre pudique et profond, ramassant et dessinant à la plume l’autoportrait dont Au centuple diffractait les mots par centaines.
Sébastien Omont, En attendant Nadeau
Dans ce dense récit autobiographique, Jérôme Lafargue décrit les quelques arpents de forêt landaise où sa relation à son père s’est nouée et dénouée définitivement. Ce territoire est aussi celui qu’il a littérairement investi en faisant s’y dérouler ses romans Dans les ombres sylvestres (2009) et En territoire Auriaba (2015). Un souffle sauvage se concentre autour d’un chemin rectiligne, parcouru en allers-retours tendus par l’écrivain à différents âges, son père et leur chien, « trait d’union » entre eux deux. Ce chemin, aussi réel que symbolique, monte avant de redescendre dans le « Profond », endroit « où l’on s’égare, où le sentiment de vastitude envoie paître la rationalité de la forêt, rendant son organisation futile, parce qu’ici les arbres y reprennent leurs droits et ricanent de concert quand de petits bonshommes se risquent dans leur territoire ».
Si l’étendue est infime par rapport aux grands espaces de Pas d’éclairs sans tonnerre, le sentiment d’absurdité est le même. Cependant, contrairement aux pistes innombrables qui ne cessent de se croiser dans la Prairie et sur lesquelles Donald hésite, on avance ici sur un chemin court et droit. Sa valeur est claire, son sens resserré. Quand il avait quatorze ans, Jérôme Lafargue y a sauvé son père, laissant derrière lui l’impuissance de l’enfance. Le récit de son lien à ce territoire particulier devient donc, pour plusieurs raisons, une histoire de transmission : le père y a abandonné sa force à son fils après avoir choisi cet endroit pour vivre, mais il lui a aussi involontairement procuré quelque chose à raconter. Sans compter qu’il lui a offert Martin Eden, donnant « une inflexion décisive à [s]a vie ».
À partir de cette question du passage, Un souffle sauvage est également un autoportrait, brossé en quelques traits fortement marqués, où tout revient à cette forêt. Outre ses rapports à ses parents, son goût pour les arbres, les paysages et la solitude, l’auteur évoque une époque, les années quatre-vingt, à travers la petite ville de bord de mer qui l’été accueilla les convulsions, les débordements et les futilités du temps. Et il affirme sa détermination à écrire : raconter l’histoire de sa famille – que ce soit par le roman ou l’autobiographie –, faire le récit de ses relations difficiles avec un père simultanément autoritaire et dépressif, c’est donner du sens, et donc lutter contre ce qui a terrassé ce dernier : le sentiment de l’absurdité de l’existence.
Inscriptions parallèles du temps et d’un personnage dans l’espace, soubresauts de l’adolescence, sentiment d’incohérence entre soi et le monde : ces deux écrivains abordent les mêmes thèmes sous des formes presque opposées. À la calme précision, à l’humour sous-jacent et aux méandres d’une destinée hésitante chez Jérémie Gindre répondent les soixante pages de Jérôme Lafargue, leur brièveté brûlante, l’explosion d’un événement irradiant toute une vie. On pourrait croire qu’on descend une rivière chez l’un, tandis qu’on assiste à un feu de forêt en lisant l’autre. Encore qu’il y ait des flammes dans Pas d’éclairs sans tonnerre et de l’eau stagnante dans Un souffle sauvage.
ISBN : 9782373850628
ISBN ebook : 9782373850680
Collection : Ce que la vie signifie pour moi
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 64
Parution : 4 mai 2017