Un souffle sauvage
Jérôme Lafargue
Voici l’histoire d’un jeune homme et d’une forêt. Ou bien, voici l’histoire d’un jeune homme et de son père. À moins que ce ne soit l’histoire d’un jeune homme avec lui-même, avec des envies de se libérer, des désirs de s’inventer.
Dans Un souffle sauvage, Jérôme Lafargue, lui si à l’aise avec la fiction, le débridé et même le fantasque, ose pour la première fois se mettre en scène, dire « je ». Il fait le choix du récit, le choix de l’authenticité, de la conviction. Raconter ce que la vie signifie pour lui, c’est nous emmener en sa compagnie sur un chemin des Landes, entre forêt et océan, silence et rugissement. Ici, parmi les arbres, ses presque frères, il arpente son histoire, remonte le temps, cherche les racines, et prend son envol. Il dit les émotions, la solitude, le partage, l’indomptable beauté des espaces sauvages, une sorte de sérénité qu’il porte à fleur de mots. Il nous invite à cheminer dans son paysage littéraire, ses lectures et son travail d’écriture qui palpitent sans cesse en écho, et font de lui un écrivain. Un homme qui regarde le monde… et écrit des histoires.
Jérôme Lafargue est né en 1968 dans les Landes, où il vit. Il publie des romans, des nouvelles, parfois des poèmes, depuis une dizaine d’années. Son premier roman, L’Ami Butler, est un hymne enjoué à la littérature et annonce les suivants, tous portés par une écriture ardente, sensuelle. Jérôme Lafargue y traque l’amour, l’illusion et la mélancolie. À la question « Qu’attendez-vous de la littérature », il répond du tac au tac : « Seulement le plaisir. »
Jacques Josse, Remue.net
Si Jérôme Lafargue excelle dans la fiction, il n’en reste pas moins, comme tout un chacun, relié – par son vécu, ses racines, sa mémoire – à une réalité qui parfois le rattrape, demandant elle aussi sa part d’écriture. C’est celle-ci qui le guide ici, faisant resurgir une histoire personnelle qui se passe dans un coin secret des Landes, entre pins maritimes, dunes mouvantes et océan Atlantique.
« Il n’y a que l’eau et les arbres, et partout autour de soi, cette immense pinède qui virevolte le long de collines dunaires, abritant de minuscules étangs, des chênaies, des aulnaies pour qui sait se perdre et accepter l’embuscade de vénérables dont le tronc s’est raviné, torsadé sous le feu des âges. »
Il prend son temps. Suit ce chemin qu’il connaît bien et qu’il a jadis arpenté en compagnie de son chien. Il s’arrête sur le décor et sur l’étrangeté des lieux avant d’entrer dans le vif du sujet. Ce qu’il a à dire n’est pas simple. Cela est enfoui en lui depuis longtemps et lui rappelle inévitablement son père, puisque c’est là, dans une clairière, qu’il a, en compagnie de sa mère, répandu ses cendres.
« Pourquoi cet endroit ? Parce qu’il aimait s’y attarder, même s’y asseoir quelques instants. Et parce qu’à ma gauche en regardant l’océan, à quelques mètres vers le sud, s’est tenu un événement qui, sans aucun doute, a modifié ma perception de moi-même et des autres. »
Ce qu’il tient à souligner, c’est le désarroi qui fut le sien quand il dut courir dans les bois, un soir entre chien et loup, à la recherche de ce père en cavale, en se demandant s’il le retrouverait vivant ou mort. Celui-ci souffrait de dépression chronique et avait, après une énième dispute, brusquement quitté la maison en emportant un vieux pistolet.
« Je partis bille en tête et rejoignis le chemin. Je ne voyais pas d’autre possibilité. Nous prenions toujours par là. À mesure que je gravissais la première pente qui conduisait au pare-feu, je maudissais mon père d’avoir choisi de se donner la mort dans notre forêt. Ma forêt. »
Il le retrouvera, vivant mais secoué, planqué derrière un buisson de genêts, l’arme pendant au bout de son bras. Ce qu’il ne fit pas ce soir-là, il le fera – exténué, vaincu par l’insidieuse maladie – quinze ans plus tard. C’est ce parcours ardu, ce retour sur des faits lourds de conséquence, avec en toile de fond un paysage qui hante la plupart de ses romans, que Jérôme Lafargue retrace dans ce récit. Il le fait sans pathos. Ouvrant son texte sur la mémoire d’un lieu détenteur de nombreuses histoires. Dont la sienne. Qui y est désormais gravée.
Librairie Charybde
«Un souffle sauvage», court récit autobiographique paru en mai 2017 dans la très belle collection «Ce que la vie signifie pour moi» des éditions du Sonneur, nommée d’après le texte de Jack London de 1906, s’ouvre sur l’image d’un chemin forestier, où le sol recouvert de strates d’aiguille de pin, de morceaux d’écorce, de branchages, de pignes en décomposition, et qui laisse par endroits voir la terre meuble ou le sable, fait écho aux strates profondes de la mémoire.
«Il n’y a que l’eau et les arbres, et partout autour de soi, cette immense pinède qui virevolte le long des collines dunaires, abritant de minuscules étangs, des chênaies, des aulnaies pour qui sait se perdre et accepter l’embuscade de vénérables dont le tronc s’est raviné, torsadé sous le feu des âges.»
La forêt des Landes est au cœur des livres de Jérôme Lafargue, milieu sauvage et surprenant, habité de mythes et de souvenirs, en particulier depuis son deuxième roman «Dans les ombres sylvestres».
Le fuchsia des bruyères cendrées, les croassements sporadiques des corneilles, la couche auburn des aiguilles de pin, saupoudrée de mousse et de lichen, l’étendue bleu gris de l’océan que l’on aperçoit par endroits, le portrait de cette nature sauvage et flamboyante dit la renaissance du printemps et la résurgence du passé. Jérôme Lafargue évoque l’histoire et les légendes des temps éloignés attachées à cette minuscule partie des Landes, «écheveau de mamelons pris entre l’océan et deux grands lacs» et dévide l’écheveau de ses souvenirs enracinés-là, l’histoire d’un jeune homme aux prises avec la dépression de son père et avec l’apprentissage précoce de la solitude.
«Le sentiment de notre intense solitude dans ce monde m’accompagne depuis ce jour où je suis devenu le père de mon père, bien avant l’âge requis. Ce jour où je l’ai tancé comme un père l’aurait fait avec son fils. Ce jour où il s’est abandonné un peu, se livrant à la fragilité d’un adolescent étourdi. Ce jour où je suis entré dans l’arène que s’ingéniait à créer cette famille rude, friande de batailles stériles entre mâles arrogants, où la force dictait une loi dépassée et destructrice.»
À partir de cette histoire personnelle, «terrible et incroyable à vivre pour un gosse et son père», de ce lieu et d’une solitude précoce à la racine de sa liberté et de son œuvre littéraire, Jérôme Lafargue condense des pages émouvantes sur le pouvoir de l’imagination et de l’écriture, «une sublime maladie dont on ne peut se débarrasser», et qui donne un sens à toute une vie, à ses émerveillements et à ses désastres.
«Je crois que cette volonté irrépressible de raconter des histoires est née dans cette forêt puis le long de l’océan, au milieu d’un magnifique nulle part. L’esprit de l’immensité et du dénuement absolu, c’est ici que je l’ai ressenti et continue de le ressentir. Mon Ouest sauvage, sauvage à tous les égards, il est là.»
«Les plus sensés d’entre nous continuent de voir le monde avec leurs yeux d’enfant.»
ISBN : 9782373850628
ISBN ebook : 9782373850680
Collection : Ce que la vie signifie pour moi
Domaine : Littérature française
Période : XXIe siècle
Pages : 64
Parution : 4 mai 2017